« Le poisson-chat aux trois yeux » de OKUIZUMI Hikaru

« Le poisson-chat aux trois yeux » de OKUIZUMI Hikaru

Ai-je bien lu ce roman ? Je n’en suis pas sûr.

Mon plaisir a été fort lors de la première partie, avant de s’effondrer presque totalement (au point de me retrouver tout près d’en abandonner la lecture) pour nettement remonter à la fin.

Mon plaisir au départ a résidé dans la découverte que l’histoire racontée ressemblait tout à fait à un récit que j’aime lire ou voir en tant que lecteur ou spectateur : un jeune homme revient dans la maison familiale de son pays natal (ici afin d’enterrer son père), ce qui déclenche chez lui réflexions et souvenirs en lien direct avec ce retour (et cette perte, ce deuil récent). Le début est assez narratif, et même si le style crée une barrière avec l’action, que l’écriture est peu imagée, visuelle, on nous raconte quelque chose : l’enterrement du père et des souvenirs de pêche. On nous relate notamment l’anecdote (pourtant essentielle pour une anecdote) de son père pêchant un poisson-chat à trois yeux, le jour des morts, en plein mois d’août, quelques jours après la mort de son propre père. Ce récit n’est pas de première main, plutôt un assemblage de différents points de vue de famille sur une même « légende » mais c’est sublime car cela flirte avec le fantastique, avec l’irréel, au sein d’un univers normal, banal presque. Les membres de la fratrie font des suppositions, selon leurs croyances traditionnelles : ce poisson était-il la réincarnation du grand-père ? Mais rien n’est certain et c’est cette incertitude qui rend intéressant l’équilibre ténu entre merveilleux et réalisme.

Cette pêche étonnante est aussi à l’origine de la perte d’intérêt du père pour le christianisme, et c’est à partir de là que le roman a moins ferré mon attention. Le narrateur se met alors à accorder davantage d’importance aux réflexions théologiques qu’au récit de sa vie, ou qu’à l’action-même de vivre. Il se met à prendre beaucoup de temps pour expliquer qui sont ses deux oncles, l’un pasteur, l’autre l’héritier désigné du flambeau familial. La question de la transmission est centrale. Satoru (notre narrateur) s’imagine à un moment reprendre la propriété familiale et donne deux versions de cette rêverie, l’une idyllique, l’autre plus négative car plus réaliste : c’est un beau passage car il illustre bien le fonctionnement de l’esprit humain, cette capacité si particulière que nous avons à fantasmer notre passé/présent/futur de multiples façons. Bien sûr, la dimension religieuse s’explique par le choc de la mort du père et par le vide que cette disparition a engendré. Il est logique que les angoissantes questions sur la vie après la mort soient très présentes. Mais ça n’a pas empêché cette seconde partie de m’ennuyer.

Pour la résolution des enjeux amenés par le récit, on retrouve heureusement un peu d’action. Le jeune homme revient quelques mois plus tard au pays natal et se lance dans une partie de pêche. Il se trouve que c’est le jour des morts, celui-là même où son père dans le passé avait pêché le poisson-chat à trois yeux. L’animal est devenu pour les personnages, comme pour nous lecteurs, le symbole du deuil et des réflexions théologiques, mais aussi celui de l’esprit des pères morts récemment. La partie de pêche a beau être symbolique, elle n’en est pas moins visuelle, factuelle, et ce retour aux gestes est bienvenu. Elle finalise l’évolution que le fils a réussi à effectuer en dépassant l’apathie dans laquelle la mort de son père l’avait laissé.

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