Histoire de la littérature japonaise moderne
Après l’arrivée du Commodore Matthew C. Perry de l’US Navy en 1853 et l’ouverture progressive du Japon vers l’Occident, on aurait pu croire que la littérature japonaise en serait bouleversée, mais il n’en fut rien. Le long isolement du pays pendant des décennies semble avoir atrophié l’imagination des écrivains de l’époque. Même la présence d’étrangers nouvellement arrivés n’a d’abord eu que peu d’effet. Les écrivains ne se sont pas rendu compte des changements dans la société japonaise, et ont continué à écrire sur les mêmes thèmes éculés.
Ce n’est qu’en 1868 que les auteurs de l’époque réalisent que leurs jours sont comptés. De nouveaux écrivains arrivent avec leurs influences occidentales et les anciens n’ont plus qu’à pleurer leurs derniers mots. La société japonaise commence à se transformer et l’art ne fait que suivre ce changement primordial dans l’histoire du pays.
Introduction de la littérature occidentale au Japon
Après la restauration meiji, certaines traductions d’œuvres non littéraires européennes commencent à apparaître au Japon. L’exemple le plus célèbre est la traduction en1870 de « Self-Help » écrit par Samuel Smiles qui devient une sorte de bible pour les jeunes Japonais ambitieux désireux d’imiter des exemples de réussites occidentales
La première traduction d’un roman européen est le livre « Ernest Maltravers », par le romancier britannique Edward Bulwer-Lytton, qui parait en 1879 sous le titre « shunwa Karyu ». Les traductions sont très approximatives, les traducteurs suppriment tous les passages qu’ils ne comprennent pas ou qu’ils jugent incompréhensibles pour les lecteurs japonais.
Mais il n’a pas fallu longtemps pour les traducteurs de découvrir que la littérature européenne pouvait être intéressante. Le spécialiste de la littérature européenne TSUBOUCHI Shoyo met en exergue la particularité du roman européen qui rejette le didactisme comme but légitime de la fiction, mais préfère ses valeurs artistiques. Son essai « Shosetsu shinzui » (L’essence du roman), paru entre 1885 et 1986 influencera fortement le roman japonais.
Le premier roman moderne japonais est « Ukigumo » de FUTABATEI Shimei paru entre1887 et 1889. Il l’écrit dans une langue familière afin de décrire au mieux la société de l’époque. Malgré le succès du livre, les écrivains continueront à employer un japonais plus littéraire, et ce, jusqu’à la fin du 19e siècle.
Le roman de la première moitié du 20e siècle
Le courant prédominant dans la fiction japonaise depuis la publication de « Hakai » de SHIMAZAKI Toson en 1906 est le naturalisme inspiré par les travaux occidentaux du 19e siècle. Cependant, les deux romanciers les plus en vues en ce début du 20e siècle sont MORI Ogai et NATSUME Soseki qui se différencient totalement du naturalisme et préfèrent le romantisme allemand et le roman autobiographique. Sōseki est certainement le romancier le plus populaire chez les Japonais de cette époque. Il se fait connaître avec des romans humoristiques tels que « Botchan » en1906 et restera très apprécié des Japonais malgré les romans plus sombres qu’il écrira ensuite.
À la fin de la guerre russo-japonaise en 1905, le Japon voit débouler un nombre très important de nouveaux auteurs qui compteront énormément dans l’histoire littéraire japonaise. Trois romanciers se distinguent tout de même : NAGAI Kafu, TANIZAKI Jun’ichirō, et AKUTAGAWA Ryunosuke qui ont tous les trois en commun leur attachement ambigu envers leur propre pays et l’influence grandissante de l’occident sur le Japon.
NAGAI Kafu est épris de culture française et décrit avec mépris le Japon moderne, même s’il reviendra vers un Japon nostalgique vers la fin de sa vie.
TANIZAKI est lui souvent en conflit avec les traditions japonaises et occidentales. Dans ses premières œuvres, il présente une préférence pour l’Occident, mais se retrouvera japonais après le tremblement de terre du Kanto en 1923. Entre 1939 et 1941, il publiera même ses trois versions modernes du Genji monogatari qu’il considère comme l’œuvre suprême de la littérature japonaise.
AKUTAGAWA, quant à lui, établit sa réputation comme conteur en transformant de vieux contes japonais en fiction moderne.
Après le naturalisme et le romantisme, vient ensuite la littérature prolétarienne. Les écrivains japonais vont utiliser ce mouvement littéraire, comme dans divers autres pays, afin de réformer la société et de répondre férocement aux injustices sociales. Bien que le mouvement prend le contrôle du monde littéraire japonais dans les années 1920, le gouvernement y mettra fin en 1928 avec la répression. Le rédacteur en chef du prolétariat, KOBAYASHI Takiji (et auteur du « bateau-usine ») est torturé à mort par la police en 1933. Peu de textes produits à cette époque sont d’une réelle valeur littéraire, mais certains écrivains japonais continuent à prêter à ces œuvres une importance particulière.
D’autres écrivains de l’époque, convaincus que la fonction essentielle de la littérature est artistique et non pas propagandiste, forment des écoles telle l’école « Néosensualiste » dirigée par YOKOMITSU Riichi et KAWABATA Yasunari. Les œuvres de KAWABATA (pour lesquelles il remporte le prix Nobel de littérature en 1968) sont toujours admirées pour leur lyrisme et leurs constructions intuitives.
L’auteur le plus influent de la période d’avant-guerre est sans aucun doute SHIGA Naoya qui se fait connaître grâce à son style littéraire que l’on connaît sous le nom de « roman-je » (Shosetsu watakushi), et qui traite de sujets autobiographiques.
Le roman d’après-guerre
Les guerres menées par les militaristes japonais dans les années 1930 empêchent la littérature japonaise de se développer. La censure devient de plus en plus stricte et l’on demande aux écrivains de promouvoir le sentiment nationaliste. Peu d’ouvrages intéressants paraissent durant la Seconde Guerre mondiale. TANIZAKI commence la publication de « Sasameyuki » (Bruine de neige) en 1943, mais la publication est interrompue par un ordre officiel, et le roman ne paraîtra qu’après la guerre. L’après-guerre est marqué par une activité littéraire extraordinaire, autant par l’ancienne génération que par les nouveaux écrivains. Beaucoup d’écrivains décrivent les horreurs de la guerre comme dans « Nobi » de ŌOKA Shohei paru en 1951 qui décrit parfaitement la défaite des soldats japonais dans la jungle philippine.
Les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 ont également inspiré beaucoup de livres, que ce soit en poésie ou en prose. Quelques œuvres, en particulier « Kuroi ame » (Pluie noire) de IBUSE Masuji paru en 1966 et « Hotaru no Haka » (La tombe des lucioles) écrit par NOSAKA Akiyuki et paru en 1967, réussissent à rendre compte de l’indicible horreur de la catastrophe.
Le Japon des années 1950 et 1960 connaît une prospérité hors du commun et sert de base pour la plupart des oeuvres de MISHIMA Yukio, un romancier exceptionnellement brillant et polyvalent qui devient le premier écrivain japonais mondialement connu. Ses œuvres les plus connues sont « Kinkaku-ji » (Le Pavillon d’Or) et « Hôjô no umi » (La mer de la fertilité), une tétralogie se déroulant au Japon de 1912 à 1960. ABE Kôbô, ENDO Shusaku et KITA Morio deviennent eux aussi connus à l’étranger. Le monde entier commence enfin à découvrir la littérature japonaise et ses particularités.
Parmi les écrivains les plus connus à l’étranger, il faut également citer OE Kenzaburo qui reçoit le prix Akutagawa en 1958 alors qu’il n’a que 23 ans. En 1994, il reçoit le prix Nobel de littérature, le second attribué à un écrivain japonais.
Malheureusement, le public étranger se lasse vite de cette littérature, ne voyant aucun remplaçant possible à tous ces écrivains. Cependant, une nouvelle génération représentée par NAKAGAMI Kenji et MURAKAMI Haruki dans les années 1970 trouve grâce non seulement au Japon, mais également à l’étranger, où leurs romans sont traduits et admirés. Les romans de NAKAGAMI se différencient par une fureur que l’on ne trouve plus dans les œuvres de ses contemporains. Quant à ceux de MURAKAMI, si méprisés par OE Kenzaburo, attirent la critique et se vendent remarquablement bien partout dans le monde. Cette popularité est due en partie à sa compréhension de la culture populaire américaine et d’une partie de la vie des jeunes partout dans le monde, mais également pour ses talents de conteur onirique.
Le théâtre moderne
Le théâtre japonais moderne trouve ses origines dans des traductions et adaptations de pièces de théâtre occidentales de la fin du 19e siècle. À cette époque, seul le Kabuki intéressait le public. Le développement du théâtre moderne prend donc plus de temps que le roman ou la poésie modernes. TSUBOUCHI Shoyo, qui traduit les œuvres de Shakespeare, écrit plusieurs pièces à succès basées sur des événements historiques japonais qui mélangent les techniques occidentales à celles du Kabuki.
Le développement du théâtre moderne est par ailleurs entravé par l’introduction du cinéma qui attire plus facilement les foules.
Le premier dramaturge vraiment moderne est probablement KISHIDA Kunio qui eut de grandes difficultés à trouver des acteurs capables de jouer correctement ses pièces. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le théâtre japonais moderne commence à rencontrer un certain succès avec des pièces de MISHIMA Yukio et d’ABE Kobo.
La poésie moderne
Au début du 20e siècle, les poètes commencent à s’éloigner de la forme traditionnelle de la poésie japonaise qui est à l’époque beaucoup trop statique et qui ne leur permet plus d’exprimer leurs émotions. Mais les Japonais continuent à trouver le poème court séduisant. Commence alors une cohabitation entre les différentes approches du vers libre et la poésie plus traditionnelle du haïku.
Même si certains nouveaux poètes ont eu des difficultés à s’imposer, ils ont continué à écrire des vers libres et n’ont pas cherché la facilité en retournant à la poésie traditionnelle. HAGIWARA Sakutaro et bien d’autres poètes modernes n’ont écrit que des vers libres durant toute leur vie. Certains d’entre eux ont été fortement influencés par la poésie européenne et américaine. Certains poètes ont écrit des poèmes patriotiques durant la Seconde Guerre mondiale, mais la plupart des poètes japonais de la seconde moitié du 20e siècle ont préféré écrire leurs inquiétudes et leurs amours.
Le traditionalisme du tanka et du haïku prend également un nouvel essor, en grande partie grâce aux efforts de MASAOKA Shiki, un éminent poète de la fin du 19e siècle qui fut le plus grand porte-parole de ce qu’allait devenir la poésie japonaise contemporaine.
La plupart des poètes de tanka et de haïku ont continué d’utiliser le japonais classique pour sa concision, ce que le japonais moderne ne permettait pas forcément. Les nouveaux poètes étaient plus disposés à employer le japonais familier comme HAGIWARA Sakutaro, considéré comme le meilleur poète japonais du 20e siècle.
Ce qui plaît le plus dans les romans japonais c’est essentiellement que ceux qui les écrivent ne s’embarrassent pas de vocables compliqués et de formules alambiquées pour nous faire croire la plupart du temps que leur récit est de haut vol. La simplicité et le fait d’aller droit au but sont sans aucun doute le trait de caractère absolu de la littérature nippone. Même si dans certains romans de MURAKAMI Haruki, le fond de l’histoire est très souvent métaphysique, l’auteur reste dans une admirable simplicité qui fait tout le charme de ses œuvres.
Pour nous rendre fidèlement cet univers de beauté lyrique et de simplicité littéraire, la traduction doit absolument tenir compte de cette volonté japonaise de ne pas s’encombrer de bagages superflus et d’oublier ce qui alourdit notre littérature contemporaine occidentale.
Les grands auteurs d’aujourd’hui sont l’incontournable MURAKAMI Haruki que beaucoup de personnes pressentent pour un prochain Nobel ; MURAKAMI Ryu, ex-leader d’un groupe de rock ; TSUJI Hitonari qui arrive à conjuguer magistralement la violence d’une société et sa nature contemplative ; YOSHIMURA Akira qui représente à lui seul les bases de la littérature japonaise ; sans oublier la géniale OGAWA Yôko qui nous envoie de tendres et poétiques histoires…