J’avais déjà entendu parler de Osamu Dazai comme d’un écrivain japonais passionné par la France – il a d’ailleurs résidé dans notre pays. Le fait d’évoquer Villon dans le titre de cette nouvelle en est un exemple probant. Pourtant je ne connais presque rien de Villon, mis à part les stéréotypes élémentaires : poète, coureur de jupons, ami des prostituées, alcoolique et certainement en confrontation avec son époque. Alors forcément un titre pareil, « La femme de Villon » ? Où donc, au Japon !? J’étais intrigué avant même de lire ce texte.
Et je dois avouer que je le suis encore.
L’histoire débute dans la nuit, quand l’épouse de Otani est réveillée par l’arrivée de ce dernier, ivre comme d’habitude. C’est elle la narratrice, ce qui confère au récit un caractère bien particulier puisqu’il s’agit à coup sûr d’un autoportrait déguisé de l’auteur, inspiré par le personnage de Villon, mais vu par les yeux d’une femme. L’arrivée de deux tenanciers de restaurant nous apprend que Otani leur a volé de l’argent. Le voleur s’enfuit après avoir menacé de planter une lame dans le ventre des restaurateurs.
Le personnage d’Otani est fuyant au propre comme au figuré car toujours raconté et décrit par les autres, soit par l’un des restaurateurs, soit par la narratrice elle-même. À l’instar du Don Juan de Molière, cette omniprésence dans les propos ou dans l’esprit des protagonistes secondaires, mais son absence dans les faits, l’entoure d’une aura de mystère tout à fait séduisante. « séduisant » est d’ailleurs l’adjectif qui revient le plus souvent pour le qualifier. On apprend que c’est un poète, un essayiste, buvant beaucoup et ayant de fortes inclinaisons à la fugue, à la dérobade. Personne ne semble vraiment le connaître, tout le monde est toujours surpris par ses originalités, même sa propre femme, qui, par exemple, n’a jamais rien su des activités de littérateur de son mari. C’est par une publicité pour l’essai qu’il vient d’écrire sur François Villon qu’elle découvre que c’est un auteur publié – ce qui est une excellente idée narrative car la publicité aperçue au hasard donne une preuve objective, « sociale », à son existence en tant qu’écrivain.
Le récit tourne autour du remboursement de l’argent volé. L’épouse doit trouver un moyen de rendre la somme dérobée à ses propriétaires, ce qui va finalement lui permettre de se libérer de la mauvaise situation où elle se trouvait : pauvreté, solitude et obligation de s’occuper de son fils chétif, maladif. Engagée par les commerçants, elle finit par gagner son indépendance et par, comme elle le dit, commencer une vie plus « légère », en acquérant de l’assurance, en se faisant séduire par les clients et en ayant la chance que le remboursement ai lieu au moment voulu.
Ce n’est qu’à la fin que l’on comprend qui est réellement Otani, lorsque la narratrice relate une discussion qu’elle a eue avec lui. Durant cette dernière, il évoque le malheur permanent dans lequel il vit depuis toujours et sa peur de Dieu – qui l’empêche de se suicider afin de trouver la paix. Il avoue être obsédé par la mort. C’est donc en prenant en compte ce que je sais de Osamu Dazai que j’ai conclu que l’auteur parlait de lui-même à travers ce personnage. Le fait que Otani se dise mal compris par ses contemporains et que son époque se trompe sur son compte, alimente ce parallèle. Il suffirait de lire une biographie sur Villon pour saisir avec encore plus de profondeur qui est le personnage central de cette nouvelle et qui est véritablement son auteur.
Néanmoins, à la toute fin, survient un événement que je ne parviens pas à m’expliquer : la femme est violée par un jeune admirateur de son mari. Ce viol est-il une façon de la punir de s’être émancipée ? Ou est-ce une façon de dire au lecteur que le malheur est et sera toujours là, qu’il est inhérent à la vie-même ? Je ne saisis pas ce que l’auteur veut signifier en faisant survenir ce viol. Surtout que cet acte, qui selon moi est odieux, n’est pas vécu et raconté comme tel par la narratrice, qui parvient ensuite à le cacher de tous avec une grande facilité. Elle paraît si peu traumatisée que très peu de temps après, elle se révèle même sensible à la joliesse d’un effet de lumière sur un verre posé sur une table.
La nouvelle se termine par cette phrase : « le principal, c’est que l’on soit en vie ». Et là encore, le mystère m’envahit. Est-ce une parole d’espoir, ou est-ce une manière de déclarer qu’il est toujours très difficile de vivre ?
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