« Un admirable idiot » de ENDO Shusaku

La famille HIGAKI est une famille japonaise tout à fait typique. Le fils Takamori est employé dans une banque et n’a que le dimanche pour pouvoir enfin faire la grasse matinée, mais c’est sans compter sur sa sœur cadette, Tomoe, une jeune fille égoïste et pragmatique, qui ne l’entend pas de cette oreille et fait tout pour lui gâcher son seul jour de repos. La mère, elle, survole de très haut les différentes mésententes entre ses enfants, quant au père, il n’en est tout simplement pas question.

Un beau jour, Takamori reçoit une lettre d’un certain Gaston Bonaparte qui lui annonce qu’il arrive très prochainement au Japon et qu’il compte sur lui pour l’aider dans ses premières démarches dans ce pays qu’il ne connaît qu’au travers ses nombreuses lectures. Après une longue et difficile réflexion, Takamori se souvient vaguement de ce lointain descendant de Napoléon qu’il rencontra plusieurs années auparavant.

À l’arrivée du « gaijin » (l’étranger) Gaston, qui sera vite renommé Gas pour plus de facilité, quelle n’est pas la surprise du frère et de la sœur, à la vue de ce gigantesque personnage au visage chevalin, à la tenue débraillée et au quotient intellectuel bien en dessous de la moyenne ? Pour la sœur, c’est une réelle déception, elle qui pensait enfin rencontrer l’amour en la personne d’un Français ; quant au frère, il fait avec et se demande ce que cet étrange individu est venu faire dans un pays qui ne lui correspond absolument pas.

Suivront les aventures de ce « gaijin » inadapté qui nous feront voyager de Tokyo vers la région de Tohoku (au nord-est de l’île de Honshu) et découvrir une faune peu recommandable de prostituées, de voyous sans scrupules et d’un tueur à gages nommé ENDO qui cherche, avant toute chose, à venger la mort de son jeune frère accusé d’un crime qu’il n’a jamais commis.

Gaston Bonaparte est en effet un personnage on ne peut plus niais et peureux, mais il possède une qualité que peu de personnes ont, il voue un amour sans aucune limite aux êtres humains et aux animaux. Et c’est ce qui trouble le plus ceux qui ont la chance de le rencontrer. Au début, les personnages de ce roman tentent d’éloigner cet idiot qui ne leur apportera rien de tangible, mais bientôt ils se rendent compte que devant autant d’abnégation et de gentillesse, leur vie semble bien pâle et, petit à petit, leur vision du monde et des êtres humains se met à se transformer ostensiblement.

ENDO Shusaku utilise la naïveté et la tendresse maladroite et excessive de Gaston comme un bienfait et non comme une tare ; l’idiot devient quasi divin et source inattendue de rédemption.

L’auteur profite de cette venue inopportune d’un étranger au Japon afin de critiquer très subtilement la société japonaise des années 1950, et en tant que satiriste de haut vol, il y arrive parfaitement grâce à un humour très japonais qui place les personnages dans différentes situations incongrues et embarrassantes, ce qui peut parfois surprendre le lecteur occidental.

ENDO Shusaku s’inspire dans ce roman du folklore de son pays et des nombreuses légendes japonaises afin de donner une dimension supplémentaire à son récit qui dépasse largement la simple critique sociale. Il effleure également dans son récit la religion catholique qui lui est si chère, sans toutefois tomber dans un moralisme judéo-chrétien à outrance qui n’aurait fait qu’alourdir le récit.

Le thème de l’étranger et de son identité est également cher à ENDO Shusaku qui connut le rejet lorsqu’il passa son enfance en Mandchourie durant les années 1920. On peut remarquer qu’ENDO Shusaku a mis beaucoup de sa personne dans ce roman, et ce n’est pas un hasard si l’un des protagonistes se nomme ENDO, le tueur professionnel atteint de tuberculose. Non que Shusaku ait été un criminel, mais il connut également les tourments de la tuberculose durant sa vie.

« Un admirable idiot » est donc un roman moral et social à l’humour tendre et émouvant dans lequel l’auteur s’est énormément investi. Malheureusement, la traduction française de ce roman a été faite par Nicole Tisserand d’après la traduction anglaise, ce qui ne peut certainement pas rendre compte du travail original d’un auteur aussi important qu’ENDO Shusaku.

Un admirable idiot d’ occasion

« Le dernier souper et autres nouvelles » de ENDO Shusaku

Trois nouvelles plutôt inégales qui sont en fait tirées du recueil « Une femme nommée Shizu ».

Dans la première « Les ombres », l’écrivain écrit à un prêtre occidental assez énigmatique pour lui montrer son énorme déception suite à la relation que son prêtre adulé a entretenu avec sa mère.

Dans la seconde « Le retour », un homme tente de faire enterrer son frère dans le caveau familiale au côté de sa mère qui elle, à l’époque de son décès, n’a pas pu être incinérée (ce qui était formellement interdit par le catholicisme).

Dans la troisième « Le dernier souper » qui est de loin la plus intéressante, on retrouve l’alcoolique Tsukada qui, ivre à ne plus pouvoir tenir debout, apostrophe un client médecin en lui ordonnant de lui diagnostiquer sur le champ la maladie dont il souffre. Le médecin après un bref examen lui conseille de revenir le voir à l’hôpital où il pourra approfondir son diagnostic peu concluant.
C’est lors de cette visite qu’une relation entre les deux hommes va se créer, relation au début assez tendue qui finira par devenir une relation beaucoup plus intime. Le médecin-psychiatre voudra avant toute chose connaître la vraie raison et le secret inavouable qui poussent cet homme à boire jusqu’à en mourir.

Livre qui nous fait une fois encore remarquer le fait qu’ ENDO Shusaku est un écrivain qui a vraiment beaucoup de mal à s’éloigner de sa ligne directrice qu’est le catholicisme au Japon.


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« La fille que j’ai abandonnée » de ENDO Shusaku

Après une aventure d’une nuit avec la tendre et naïve Mitsu, Yoshioka sans aucun remord se dit que cette petite s’envolera de son esprit à tout jamais et que tout cela ne restera qu’un joyeux souvenir de conquête facile d’un jeune homme à la découverte de tout plaisir.

Mais la vie ne le laissera pas aussi tranquille. En effet, quelques années après, le souvenir de la jeune fille réapparaîtra sans aucune raison dans son esprit et malgré son mariage, Yoshioka fera tout ce qui est en son pouvoir pour retrouver la jeune fille qui fut cette « aventure d’une nuit ». Après quelques recherches dans Tokyo, il retrouvera sa trace là où il ne l’aurait jamais cru et découvrira l’incroyable mystère de Mitsu.

Cette histoire n’est pas vraiment une histoire d’amour même si elle est excessivement touchante. C’est plutôt une histoire sur le destin : une personne en quitte une autre, l’une s’en fiche complètement, l’autre ne s’en remettra pas. Ici encore un leitmotiv dans l’œuvre de ENDO Shusaku, le christianisme. Mais pas vraiment de quoi s’en plaindre, ENDO ne touche pas la religion comme un occidental, il l’effleure. Comme tous japonais, la religion n’est pas le centre du monde, c’est juste un petit compagnon que l’on aime et que l’on respecte mais il ne prendra jamais le dessus sur sa propre personnalité.

Très joli roman linéaire qui nous fait découvrir un Tokyo plus « ancien » qui préfigure déjà le contemporain.

« La fille que j’ai abandonnée » a été porté deux fois à l’écran ; une fois en 1969 par Kobayashi Masaki et une autre fois en 1997 par Kumai Ken.

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« Scandale » de ENDO Shusaku

L’écrivain Suguro est un homme assez tranquille qui regarde sa vie se dérouler sans trop de tracas. Il est plus ou moins en fin de carrière, d’ailleurs au début du roman il se retrouve à une réunion d’écrivains pour se voir décerner un prix littéraire pour son œuvre. Mais là, tout va s’accélérer d’un coup. En effet, au fond de la salle, pendant son discours, Suguro voit un visage au sourire hideux qui n’est autre que le sien.

Après s’être péniblement remis de ses émotions, une jeune femme ivre viendra annoncer à toute l’assemblée que ce « grand » auteur n’est autre qu’un vieux pervers qui ne fait que se trimballer dans les quartiers chauds de Shinjuku à la recherche de chaire fraîche pour assouvir ses horribles penchants. Suguro n’y comprend plus rien et, poussé par ses amis et un journaliste véreux qui tente de faire la lumière sur ce scandale, se rendra dans ce quartier populaire de Tokyo pour faire toute la lumière sur cette affaire. Aurait-il réellement un double pervers, serait-ce quelqu’un qui se fait passer pour lui afin de nuire à sa personnalité catholique irréprochable ou serait-ce réellement lui ?

En lisant ce superbe roman, je ne peux m’empêcher de penser à « La tâche » de Philip Roth (autre grand livre où un professeur d’université se fait traîner dans la boue pour quelque chose qu’il ne comprend pas). Peu importe, Philip Roth a certainement lu le chef-d’œuvre d’Endo Shusaku et en a fait sa propre version, le résultat est que ces deux livres valent vraiment la peine d’être lus.

Pour les amoureux de Tokyo, il manque malheureusement certaines descriptions du quartier tant admiré qu’est Shinjuku. Ce roman aurait pu se passer dans n’importe quelle grande ville au monde, la psychologie humaine est plus ou moins la même partout, surtout dans les métropoles. On remarquera également dans « Scandale » l’importance du catholicisme dans l’œuvre de ce grand écrivain japonais.


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