« L’île des rêves » de HINO Keizo

Yumenoshima, « L’île des rêves » est un quartier de Tôkyô constitué d’une île artificielle que l’on a construite à partir de déchets provenant de la mégalopole. La construction a débuté fin des années 1950 et son but était de trouver une solution aux problèmes des déchets de la ville.

Aujourd’hui, Yumenoshima est recouvert d’une couche de terre arable et l’on y trouve des infrastructures sportives, une serre tropicale, le Musée Fukuryu Maru, un port de plaisance, mais également une déchetterie et des incinérateurs.

À une époque, l’île-quartier accueillait également le Daigo Fukuryū Maru, un thonier japonais qui fut exposé le 1er mars 1954 à des retombées radioactives lors d’un essai nucléaire dans l’atoll Bikini.

SAKAI Shôzô, lorsqu’il ne travaillait pas, passait le plus clair de son temps à déambuler dans les différents quartiers de Tôkyô afin d’y admirer ou de critiquer par ici, un nouveau gratte-ciel ou par-là, un immeuble d’appartements de luxe que l’on était en train de construire. Un dimanche après-midi, il prit le bus pour Ginza avec pour seul but de se rassasier quelque peu. Mais, son attention ayant été attirée par une montée massive de jeunes gens dans son bus, Shôzô dépassa allégrement l’arrêt Ginza pour se retrouver sans trop savoir comment à Tsukishima où il aperçut un incroyable attroupement de jeunes lycéens s’apprêtant à pénétrer dans un vaste bâtiment d’une forme insolite, qui lui évoquait un gigantesque bol métallique renversé. Étant le seul adulte, il préféra s’écarter de cet étrange attroupement et en profita pour aller admirer depuis la baie de Tôkyô les nouveaux gratte-ciel qu’il n’avait plus contemplés depuis longtemps. C’est à ce moment-là qu’il entendit et vit une moto lui foncer dessus sans avoir l’air de vouloir dévier de sa trajectoire, pour enfin et heureusement s’arrêter par on ne sait quel miracle. SAKAI Shôzô ne savait alors pas encore que sa vie, ou plutôt sa vision de la vie, allait changer du tout au tout suite à cette rencontre inopinée qui allait le mener dans un Tôkyô parallèle et isolé.

L’originalité du livre de HINO Keizo est sans aucun doute de prendre comme source narrative le quartier Yumenoshima, un endroit existant et connu de Tôkyô, pour en faire un lieu de transformation existentiel. Ce quartier qui fut créé par l’homme et à partir de déchets résultant de l’activité humaine est devenu un endroit pouvant à son tour façonner son propre créateur. Ce quartier représentant en quelque sorte l’histoire de Tôkyô à travers ses déchets superposés depuis une trentaine d’années, est devenu pour Shôzô le lieu où il doit se rendre impérativement chaque fois qu’il le peut. Il sait pertinemment bien que cet endroit à part a une certaine influence sur lui, mais il ne peut s’empêcher d’y aller afin de mieux connaître, et sa ville, et sa propre personnalité.

« L’île des rêves » peut être considéré comme un livre miroir, tout comme le Japon est souvent considéré comme une société miroir et comme un livre écologiste. Il est très dense et merveilleusement descriptif. C’est le genre de livre qui mérite plusieurs lectures tant il est possible d’y apprendre quelque chose de neuf à chaque relecture. Il est comme ce qu’il représente, un renouveau perpétuel dû à l’évolution de l’homme dans une société qu’il s’est lui-même créée. « L’île des rêves » est un petit bijou d’intelligence ; tout en explosant le style narratif traditionnel, HINO Keizo nous démontre qu’un roman peut se dépasser lui-même. Ici, l’histoire se met aux ordres d’un descriptif à la fois matériel (les différents quartiers de Tôkyô-est sont admirablement dessinés par l’auteur) et immatériel, le dédoublement de personnalité et la remise en question de ses propres valeurs sont la clé de voûte de ce roman dense, difficile d’accès, mais extrêmement important pour qui veut connaître une nouvelle facette de cette littérature japonaise si diversifiée et mettant très souvent à mal les habitudes littéraires du lecteur occidental.

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