Makiko et Midoriko, une mère et sa fille originaires d’Ōsaka, décident de se rendre à Tokyo chez la sœur de Makiko pour un séjour de trois jours. En fait, c’est plutôt Makiko qui veut se rendre à Tokyo avec la ferme intention de se faire refaire les seins par le meilleur chirurgien plastique. Elle a en effet un énorme complexe lié à la petitesse de sa poitrine et elle s’est enfin décidée à en finir avec cette « malédiction ». Midoriko, elle, ne parle plus. Elle n’est pas infirme, mais elle a simplement décidé, six mois plus tôt, de ne plus jamais adresser la parole ni à sa mère, ni au reste du monde qu’elle déteste autant qu’elle ne le comprend pas. Sa seule façon de correspondre avec autrui est un petit carnet qu’elle transporte avec elle partout et sur lequel elle écrit ce qu’elle n’arrive plus à dire. Le père, lui, a quitté tout ce beau monde dix ans auparavant, ne laissant qu’un souvenir très vague à la petite Midoriko.
La narratrice, sœur de Makiko, leur offre très simplement et gentiment le gîte dans son petit appartement de Tokyo et leur propose de leur servir de guide durant toute la durée de leur court séjour. Mais, c’est sans se douter que la relation entre la mère et la fille, chacune avec ses secrets, est bien plus tendue et complexe qu’elle ne paraît. Même si les tensions ne sont aucunement palpables, la sœur sent qu’il existe une brisure profonde entre ces deux personnes qui font partie de sa famille, mais qu’elle ne connaît pourtant que très peu.
« Seins et œufs » est un court roman d’une jeune auteure née en 1976 et qui fait déjà parler énormément d’elle dans son pays natal. « Seins et œufs » est un roman sur la découverte et le constat. Découverte du corps féminin pour la jeune Midoriko qui retranscrit dans son journal intime toutes ses craintes, ses répugnances face aux cycles menstruels qu’elle devra subir une très grande partie de sa vie et son incompréhension devant une société qui lui dicterait sa façon de vivre et d’engendrer à son tour puisque son corps est enfin prêt — comme si le choix n’était plus permis. « Seins et œufs » est également l’histoire d’un constat qu’une mère fait sur sa propre vie et son propre corps. Un constat d’échec dû à sa maternité qui lui a valu de perdre la souplesse d’un corps virginal qu’elle veut récupérer tant bien que mal et par tous les moyens.
La question que tout lecteur doit se poser est : « Est-ce un roman féministe » ou « un roman pour les femmes », vu les sujets abordés ? Ce serait très réducteur et simpliste de cataloguer ce récit très personnel. La manière dont le sujet est traité dépasse de loin tout clivage littéraire. Il est plutôt sociétal et pose la question de la condition humaine dans son ensemble. L’obligation de se comporter d’une telle manière puisque la société en a décidé ainsi est omniprésente dans les lettres que la petite Midoriko écrit dans son journal et dans l’obsession de sa mère, Makiko, de paraître aussi normal que possible, même si elle n’arrive pas à se mettre d’accord sur ce qu’est la normalité (ici, la forme, la couleur des seins qu’une femme devrait avoir).
Le style du livre est tout simplement éblouissant, son rythme est rapide, on se sent de temps en temps entraînés dans une danse folle à coups de mots répétés, de phrases échouées, de situations cocasses et autres trouvailles romanesques que la jeune auteure nous offre avec brio, surprise et enchantement. Un livre à la fois très universel dans ses thèmes et très japonais dans sa façon de les traiter. On y apprendra par exemple que les œufs (sources de vie et aliments) peuvent prendre une place très particulière dans la littérature japonaise. Et pour couronner le tout, KAWAKAMI Mieko arrive à traiter tous ces sujets avec un humour très juste, fin et délicat. KAWAKAMI Mieko est sans nul doute une auteure à l’avenir plus que prometteur.
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