Un bateau-usine, c’est le nom que l’on donne à d’anciens navires en fin de vie et récupérés d’une quelconque flottille soviétique. Ils se trouvent dans un état lamentable et sont tant bien que mal rafistolés par des ouvriers japonais. Ils servent généralement à la pêche aux crabes et sont capables d’embarquer quelques centaines de pêcheurs, techniciens et marins. Les conditions de vie y sont exécrables, les maladies pullulent et il n’est pas rare de perdre quelques travailleurs en cours de route.
Les pêcheurs y sont exploités à outrance, et chaque jour les rend de plus en plus faibles, malades et révoltés. Ils sont à la fois sous-payés, maltraités et considérés comme des animaux alors que le fruit de leur pénible et avilissant labeur rapporte des fortunes à quelques nantis bien à l’abri dans leurs bureaux.
Les pêcheurs qui s’y engagent la peur au ventre, sont pour la plupart des étudiants espérant gagner un peu d’argent pour payer leurs études, d’anciens malfrats qui n’ont plus l’occasion de se réinsérer dans la vie civile, ou encore de simples gens sans aucune éducation qui ne trouvent aucun autre travail.
Dans son roman, KOBAYASHI Takiji nous décrit avec un style cinématographique les journées de labeur de ces ouvriers désespérés qui tentent de survivre le plus dignement possible. À chaque journée ses maladies, ses humiliations, ses désespoirs, mais également ses espoirs de voir ce calvaire se terminer au plus vite, même si le retour sut la terre ferme ne leur amènera pas la plénitude et la sécurité. Pour pouvoir retrouver leur dignité humaine, ils ne voient qu’un seul moyen, faire tomber tous ces riches hommes d’affaires de leur piédestal et ne plus jamais se courber devant ces hommes qui les traitent comme des chiens et qui s’amusent de leur autorité héritée d’un système capitaliste qui ruine la société japonaise.
On l’aura vite compris, KOBAYASHI Takiji s’est tourné très jeune vers le communisme qui, pour lui, est le seul système politique et économique capable d’élever l’être humain à sa plus haute dignité.
Son roman est d’une cruauté sans nom. D’un côté, le pouvoir économique et de l’autre la masse qui se fait littéralement broyer, humilier, déshumaniser. Les cales du navire où grouille la vermine sont le véritable enfer sur terre, et toute protestation est inéluctablement balayée par les quelques représentants de l’autorité. La seule possibilité pour l’être humain de se retrouver est la révolte, le combat.
« Le bateau-usine » a été publié pour la première fois au Japon en 1929 et fut bien évidemment très mal accueilli par les autorités.
En 2008, la crise financière et économique qu’a connue le Japon a redonné une seconde vie à ce chef-d’œuvre de la littérature prolétarienne japonaise. En effet, bon nombre de jeunes Japonais, que l’on appelle « arubaito » se sont reconnus dans cette histoire qui décrit ces « petits travailleurs » comme les piliers de l’économie japonaise, mais qui sont à la fois exploités et non reconnus à leur juste valeur : salaires, stabilité de l’emploi, couverture sociale… leur sont injustement refusés.
La jeunesse nippone est actuellement très touchée par ces petits boulots précaires qui ne leur laissent aucun espoir d’avenir. L’époque carriériste qui a fait la renommée du Japon est bel et bien terminée et ce livre tombe à point pour tous ces jeunes qui s’y retrouvent métaphoriquement et qui espèrent, peut-être, une nouvelle révolution.
Ce livre a été publié en 1929 et il est toujours cruellement d’actualité. Ce n’est pas réellement une surprise qu’il ait été repris comme étendard par la jeunesse japonaise qui s’inquiète de l’avenir de leur pays et qui souffre de cette crise économique. Il faut rappeler qu’au Japon, le chômage n’est pas perçu comme une fatalité, mais plutôt comme une honte. C’est pourquoi, comme dans le roman de KOBAYASHI, ils sont prêts à accepter n’importe quoi, plutôt que d’être assistés par la société.
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