Shunsuke et Tokiko sont mariés depuis pas mal d’années. Tout se passe très bien entre eux, ils ont deux enfants : Ryôichi et Noriko dont ils n’ont pas à se plaindre et ils espèrent pour eux et leurs progénitures un avenir radieux et sans nuage. Leur bonne, Michiyo, est là non seulement pour s’occuper des tâches ménagères, mais également pour, de temps en temps, remettre les pendules à l’heure dans cette petite famille paisible, mais qui, comme toute famille, connaît des hauts et des bas.
Un de leurs amis, George, est un soldat américain resté au Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour Shunsuke, c’est une aubaine, étant traducteur il se plaît à converser en anglais avec lui afin d’entretenir ses connaissances.
Mais un beau jour, Shunsuke apprend que sa femme l’a trompé avec ce fameux George, alors qu’il était en déplacement pour raison professionnelle. À partir de ce moment, tout bascule dans le cercle familial que rien ne paraissait pouvoir ébranler. Peu de temps après cette infidélité conjugale, on découvre un cancer chez Tokiko. La maison californienne qu’ils viennent d’acheter se révèle être un véritable gouffre financier. L’équilibre familial vacille, les tensions entre les différents membres commencent à devenir ingérables, le bel avenir d’une simple famille japonaise semble à jamais voué à l’enfer sur terre. L’étranger a brisé ce qu’il y a de plus sacré au Japon depuis une éternité, le clan est à jamais voué à l’échec, la base de la société japonaise s’écroule en un instant.
Aucun doute n’est permis au sujet de ce roman de KOJIMA Nobuo. L’étranger, ici représenté par ce soldat américain, est le responsable du déclin de la société japonaise d’après-guerre. KOJIMA Nobuo a vite compris que le mode de vie américain allait petit à petit ronger les fondements principaux de la société japonaise. Il prend ici comme allégorie le cancer de Tokiko pour démontrer comment l’intrusion américaine allait dévorer lentement mais sûrement la base sociétale d’une nation qui ne pouvait survivre sans une union forte et impénétrable. L’infidélité de Tokiko n’est en rien responsable de son cancer, mais il est clair que sa maladie s’est déclarée juste après être entrée en contact avec l’étranger. Cette famille, c’est le Japon tout entier qui se désagrège lentement. C’est ce Japon qui veut aller de l’avant sans se soucier des conséquences, c’est ce Japon qui, pris par le rêve américain, tente de mettre de côté toutes ses traditions et sa cohérence. Mais c’est également ce Japon qui perd petit à petit ses valeurs pour les remplacer par des valeurs qu’il ne maîtrise pas.
Jamais dans son roman, KOJIMA Nobuo n’accuse ni ne médit l’étranger. Il fait juste un constat extrêmement douloureux et mélancolique de ce qu’est devenu le Japon d’après-guerre, et c’est sans aucun doute ce qui lui a permis d’obtenir le premier Prix Tanizaki en 1965. « Le cercle de famille » est une œuvre majeure dans la littérature japonaise contemporaine. Elle était et reste un avertissement sans concession de ce que pourrait devenir le Japon s’il ne se remet pas totalement de sa plus grande défaite historique. Il y a eu la guerre, les bombes atomiques et ensuite un long pourrissement de la situation sociologique d’une nation qui n’a toujours pas retrouvé ses marques.
Ce roman est un chef-d’œuvre intemporel et indispensable de la littérature japonaise du 20e siècle. Il est l’exemple parfait de ce qu’est la littérature japonaise d’après-guerre, une littérature à la fois mélancolique, indispensable, interrogatrice, inquiète et visionnaire.
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