« Le vase de sable » de MATSUMOTO Seichô

À trois heures du matin le 12 mai, il faisait sombre et froid à la gare de Kamata. Un jeune mécanicien fait ses dernières vérifications avant le départ du premier train de la ligne Keihin-Tôhoku, lorsqu’il tombe nez à nez avec le cadavre d’un homme au visage complètement écrasé. L’autopsie révélera que la victime âgée d’environ 55 ans avait ingurgité des somnifères accompagnés d’alcool avant d’être étranglée et frappée à coups de pierre ou de marteau aux alentours de minuit. L’un des enquêteurs rapidement chargés de l’affaire apprit que l’homme, accompagné d’une autre personne, avait été vu la veille au soir dans un bar proche de la gare et qu’il était originaire de la région du Tohoku (région du nord-est de l’île de Honshū, l’île principale du Japon).

L’enquête est mise sous la responsabilité du talentueux et marginal inspecteur IMANISHI Eitarô qui très vite conclut que la victime, en raison de son accent de Tohoku, devait provenir de la petite ville de Kameda. C’est donc à Iwaki (dont dépend Kameda) qu’il décide de commencer son enquête en rencontrant le commissaire YOSHIMURA Hiroshi qui pense que l’inspecteur fait fausse route, et que le meurtrier ne peut en aucune façon être originaire de leur paisible petite ville. Dès lors, commence pour l’inspecteur IMANISHI un long voyage dans cette région du Japon qui lui apprendra, grâce à ses spécificités, à connaître un peu plus les subtilités de son propre pays.

Comme dans « Tokyo Express », MATSUMOTO dessine son intrigue avec une rigueur quasi scientifique. Là où les horaires de train faisaient office de preuves, c’est sur base de l’accent typique de la région du Tohoku que le commissaire IMANISHI établira le profil de la victime et tentera de découvrir le mobile du meurtre. Telle une équation mathématique, « Le vase de sable » est une histoire policière sans cesse remise en question tant les preuves sont fragiles et tant elles risquent la contradiction à tout moment. À chaque fois que le commissaire se sent proche de la vérité, il se rend compte qu’un petit détail lui a échappé, ce qui le force à reprendre son raisonnement depuis le début, pour le plus grand intérêt du lecteur qui, tout en voyageant en train, suit avec amusement les réflexions intenses de ce commissaire pas comme les autres.

« Le vase de sable » de MATSUMOTO Seichô pourrait être considéré comme un roman géographique et dialectologique s’il n’était pas plutôt à classer dans les romans populaires. On sent parfaitement bien dans ce roman que l’auteur se cantonne à une formule qu’il connaît sur le bout des doigts et qu’il est capable de décliner de toutes les manières. Sans parler de ses œuvres plus politiques, l’intérêt des romans de MATSUMOTO se situe plutôt dans la psychologie des personnages plutôt que dans la résolution du crime proprement dit. Mais dans « Le vase de sable », la dimension psychologique, sans être inexistante, n’est pas à la hauteur de ce qu’il a pu développer et exploiter dans un roman comme « Un endroit discret ». Néanmoins, le livre est ce qu’il est : un bon roman policier à l’intrigue originale et conjuguée d’une façon rigoureuse et typique de l’auteur qui ne laissera pas le lecteur complètement insatisfait.

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« Un endroit discret » de MATSUMOTO Seichô

C’est alors qu’il est en mission à Kôbe pour son travail au ministère de l’Agriculture, que TSUNEO Asai apprend que son épouse Eiko vient de mourir d’une crise cardiaque. Sa réaction paraît étrange, il ne quitte pas la réunion à toute vitesse comme n’importe quel mari l’aurait fait, mais reste quelques minutes comme si de rien n’était afin que son départ ne gêne en aucune manière le bon déroulement de la réunion.

Enfin libéré de ses fonctions, il retourne à Tokyo pour tenter d’en savoir plus sur ce décès tout aussi soudain qu’inexplicable. Certes, sa femme avait le cœur fragile, mais elle en était pleinement consciente et savait pertinemment bien qu’elle devait se ménager. Une autre question que TSUNEO se pose concerne l’endroit où Eiko a eu cette attaque. On l’a en effet retrouvée dans le quartier de Yoyogi, endroit où elle n’allait jamais et où aucune de ses connaissances proches ou lointaines n’habite.

TSUNEO décide donc de mener sa propre enquête en se rendant dans la boutique de luxe où Eiko rendit son dernier souffle. En discutant avec la tenancière, il découvre avec stupeur que le quartier est réputé pour son calme, son éloignement, mais surtout pour ses « hôtels » très discrets. TSUNEO n’en revient pas, sa femme aurait-elle eu une liaison extraconjugale et toutes ces réunions de passionnés de haïkus où elle se rendait régulièrement seraient-elles pure invention de sa part afin de s’adonner à des plaisirs illégitimes ?

MATSUMOTO Seichô, l’un des plus grands auteurs de romans policiers japonais, a le don de nous faire visiter du pays. Dans son livre à succès « Tokyo Express », il nous faisait déjà traverser tout le Japon, du nord au sud, d’est en ouest, dans ces trains qui petit à petit deviennent partie intégrante du récit.

Dans « Un endroit discret », c’est à pied que l’auteur nous fait voyager. Et ce n’est plus dans tout le Japon, mais dans un quartier tranquille situé dans l’arrondissement de Shibuya à Tokyo. Mais derrière ce roman policier énigmatique, MATSUMOTO veut nous démontrer que deux caractéristiques propres aux Japonais, à savoir la politesse sociale et le carriérisme à outrance, peuvent, dans certains cas, propulser des individus dans des situations inextricables et les pousser à agir d’une manière qui ne correspond absolument pas à leur personnalité.

Dès le début du roman, le lecteur a du mal à comprendre la réaction trop polie du mari qui vient d’apprendre le décès de son épouse. N’importe qui aurait quitté la salle de réunion sans se sentir obligé de se justifier. Mais au Japon, les convenances sociales ont un pouvoir énorme difficile à concevoir pour un Occidental. Et la véritable force de ce roman est d’avoir utilisé ces convenances comme le moteur principal de l’intrigue. La personnalité de TSUNEO Asai n’est en rien responsable de ce qui va arriver, mais ce sont plutôt ces règles inhérentes à la société japonaise et le déshonneur de perdre son rang social, qui poussent certains individus à commettre l’irréparable.

On retrouve également dans « Un endroit discret » le style fluide et extrêmement méticuleux de MATSUMOTO Seichô. Style unique qui a été porté à son paroxysme dans le génial « Tokyo Express » dans lequel les horaires de trains sont étudiés avec une méticulosité flamboyante.

« Un endroit discret » est donc un roman policier atypique, certes sans grand suspense, mais avec une psychologie et une étude sociologique des plus intéressantes. Ce roman ravira les amateurs du genre policier (et pourquoi pas tous les autres) pour sa trame narrative unique et typique de cet écrivain japonais qui aime inclure dans ses romans quelques critiques fondamentales envers son propre pays.

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« Tokyo Express » de MATSUMOTO Seichô

Le long d’une plage de Fukuoka, deux corps sans vies sont retrouvés étendus l’un à côté de l’autre : un homme et une femme. Il semble bien que tout ça soit un suicide d’amoureux, en tout cas c’est ce qui arrangerait tout le monde. Par contre, ce n’est pas l’avis du commissaire TORIGAI Jutaro qui pense plutôt à un meurtre camouflé en suicide. Il n’a évidement aucune preuve, mais son instinct le pousse à vouloir enquêter un peu plus, et il n’est pas question pour lui de se contenter de rendre un énième rapport de suicide comme il en a tant rédigé.

Et c’est également l’avis d’un de ses collègues de Tokyo, MIHARA Kiichi qui, ayant vite fait le rapprochement entre une des victimes, SAYAMA Kenichi, et une sombre affaire de corruption ministérielle en cours, décide de prendre le train et d’aller enquêter sur place. Et les trains, il en est beaucoup question dans ce roman policier. Ces trains qui partent et qui arrivent à des heures très précises, qui stationnent dans toutes ces gares sans s’y attarder, qui emmènent des tas de voyageurs un peu partout dans le Japon des années 50.

MIHARA Kiichi est persuadé qu’il tient l’auteur de ce double crime, mais il lui est malheureusement impossible de prouver quoi que ce soit, la réalité des horaires ferroviaires est trop présente, tout ce qu’il échafaude s’écroule, tout ce qu’il imagine s’avère être invérifiable. Il décide donc de tout tenter, quitte à se faire passer pour un fou, pour démontrer qu’une réalité peut très bien en cacher une autre.

MATSUMOTO Seichô profite de ce roman pour nous faire voyager en train d’un bout à l’autre du Japon. De Kagoshima (sur l’île de Kyushu à l’extrême sud-ouest du Japon) jusqu’à Sapporo (sur l’île d’Hokkaido à l’extrême nord-est) tout en faisant quelques haltes à Tokyo, il nous décrit brièvement les différents paysages et différentes coutumes de ce Japon des années 50. Mais le plus passionnant dans « Tokyo Express », c’est la ténacité de ce commissaire TORIGAI qui n’arrive pas à baisser les bras devant toutes les évidences qui lui tombent dessus et qui, même s’il se décourage de temps en temps, ne veut pas lâcher le morceau.

MATSUMOTO est considéré comme le plus grand écrivain de romans policiers japonais, et il est évident qu’il ne doit pas ce titre juste pour ses idées géniales et imparables, il a également l’étoffe d’un très grand écrivain tout simplement. Son récit est extrêmement fluide, sa structure narrative est très complète et jamais hésitante, son personnage principal est très bien dessiné et plus le récit avance, plus on a l’impression de bien connaître ce fameux commissaire MIHARA. Lorsqu’il est déçu, on l’est également ; mais très vite il reprend courage et la seule chose qui nous importe à ce moment-là, c’est de reprendre le train en sa compagnie et de braver à ses côtés cette réalité qui semble de moins en moins plausible.

La particularité de ce roman est que l’on porte un intérêt plutôt limité à l’élucidation de ce présumé double meurtre. Le plus important pour le lecteur est de savoir si cet obstiné MIHARA va finalement arriver à apporter les preuves de ses convictions, et surtout de quelle manière il va y parvenir. Un roman captivant, non seulement pour son intrigue, mais aussi pour le courage et la psychologie de son personnage principal.

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