« Les pleurs du vent » de MEDORUMA Shun

C’est au sommet d’une falaise abritant un ossuaire datant de temps immémoriaux, que se trouve un étrange crâne au travers duquel le vent s’infiltre et lance de temps en temps un léger murmure angoissant. Ce crâne, celui d’un ancien kamikaze ayant combattu lors de la Seconde Guerre mondiale, force depuis toujours le respect des habitants d’Okinawa qui préfèrent, de loin, le laisser tranquille là où il se trouve.

Un beau jour, deux journalistes débarquent dans le village avec pour projet de tourner un reportage en vue de commémorer les défunts ayant péri lors de la Seconde Guerre mondiale à Okinawa. Sur les conseils du responsable de quartier, ils se rendent chez un certain Seikichi Tôyama, un noble ouvrier qui, enfant, a connu la guerre et qui semble bien connaître tout ce qui concerne ce fabuleux crâne. Mais l’homme n’est absolument pas d’accord de laisser ces étrangers s’accaparer de ce qu’il considère comme l’âme et le symbole de toutes les victimes de la guerre d’Okinawa.

Commence alors un combat psychologique entre Seikichi, les journalistes et les autres villageois qui ne comprennent pas pourquoi l’ouvrier se bat bec et ongles contre cette opportunité qu’a le village de se faire connaître dans le reste du Japon. Y aurait-il quelque chose de plus personnel, de plus authentique autour de ce crâne surplombant cette falaise qui connut l’arrivée des troupes américaines tant d’années auparavant ?

À la lecture de « Les pleurs du vent », il est indéniable que MEDORUMA Shun est très influencé par l’écriture fine et exigeante de ce grand écrivain que fut YOSHIMURA Akira. Que ce soit au niveau du style ou des thèmes abordés, il y a une réelle et respectueuse filiation. Ce court roman publié au Japon en 1997 est une fable sur le souvenir de la Seconde Guerre mondiale, sur les responsabilités des uns et des autres, sur l’enfance sacrifiée, sur les remords, sur l’impossibilité du pardon ; et tout cela est imprégné, tout comme dans l’œuvre de YOSHIMURA, de légendes et de mystère.

Au niveau du style, la plume de MEDORUMA est acérée et ne tremble jamais. Impossible de ne pas penser à « Un spécimen transparent » lorsque l’auteur des pleurs du vent nous représente le squelette du kamikaze, squelette composé d’os d’une blancheur si pure qu’elle en serait presque transparente. Impossible également de ne pas penser à « La Jeune Fille suppliciée sur une étagère » tant l’auteur tente de faire « revivre » ce soldat assassiné quarante ans plus tôt lors de l’ultime bataille d’Okinawa.

« Les pleurs du vent » est un court roman magnifique et subtil sur le souvenir d’une des époques les plus pénibles de l’histoire du Japon. MEDORUMA a pu le rendre plus léger et tendre grâce à l’intervention d’enfants qui, au début du récit, se lancent un défi, à savoir d’escalader la falaise surplombant l’embouchure de la rivière Irigami afin d’y toucher le crâne du légendaire kamikaze. Mais très rapidement, le livre prend une connotation plus sérieuse et profonde avec l’arrivée de Seikichi, de ses souvenirs et de ses peurs.

Il a été tiré de ce roman un film réalisé en 2004 par Yôichi Higashi « Fuon » (The Crying Wind) et pour lequel MEDORUMA Shun fut le scénariste. Malheureusement, il n’a jamais été traduit en français.

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« L’âme de Kôtarô contemplait la mer » de MEDORUMA Shun

Kôtarô, pêcheur et agriculteur d’une cinquantaine d’années, se retrouva un beau jour chez lui, dans le coma, à la grande désolation de son entourage et plus particulièrement de Uta, la voisine, qui le choyait depuis qu’il était petit. Uta se demanda si ce n’était pas à nouveau son mabui qui s’en était allé. Déjà tout petit, il avait été sujet à de fréquents « défaillements de l’âme ». Avec l’âge, ces défaillements ne survenaient plus que tous les deux ou trois ans, mais à chaque fois, Uta était sollicitée afin de récupérer son mabui. Mais là n’était pas sa seule tâche. En effet, Uta devait également tenter de maîtriser l’aaman (une espèce de bernard-l’ermite terrestre) qui avait à peu près la taille d’une main et qui ne cessait d’entrer et de sortir de la bouche de Kôtarô avec pour seul but (semblait-il) d’agacer la famille déjà assez perturbée comme ça. Mais Uta, elle, avait d’autres chats à fouetter. Elle se doutait de l’endroit où l’âme de Kôtarô s’était réfugiée : la plage était l’endroit qu’il préférait pour s’isoler et se ressourcer. Elle se mit donc en chemin vers la plage, laissant toute la famille désemparée, avec la ferme intention de raisonner l’âme de Kôtarô qui, sans doute, devait contempler la mer.

Yoshiaki (le père) et Takashi (le fils) sont tous deux de grands amateurs de combats de coqs. Yoshiaki élevait des coqs dans le but de les faire concourir dans ces nombreux combats organisés dans les gallodromes de l’île d’Okinawa. À l’été de la cinquième année d’école primaire de Takashi, son père lui offrit un poussin dans le but qu’il l’élève lui-même et qu’il en fasse un coq de combat. Le jeune garçon le nomma Aka et mit toute sa bonne volonté pour qu’il devienne le meilleur combattant et que son père puisse être fier de lui. Dès qu’Aka fût prêt, Yoshiaki commença à emmener le coq aux combats pour l’évaluer lors de vrais affrontements. Très rapidement, la réputation d’Aka se répandit chez les parieurs qui vinrent de plus en plus nombreux suivre le nouveau prodige.

Un jour, alors que Takashi nettoyait la volière, un certain Satohara demanda à voir le coq. Après l’avoir observé minutieusement, il demanda à Takashi de le lui vendre, ce que Takashi refusa catégoriquement. Mais ce que le jeune garçon ignorait, c’est que ce que voulait Satohara, il finissait toujours par l’obtenir, et ce par n’importe quel moyen.

On retrouve dans ce recueil de 6 nouvelles ce qui caractérise très exactement l’œuvre de Medoruma et ce qui le distingue des autres auteurs japonais contemporains, à savoir que Medoruma est à la fois un intellectuel averti et un conteur très proche de son archipel natal et de ses petites gens. Ce qui pourrait paraître paradoxal est, dans les récits de Medoruma, d’une cohérence telle que le lecteur n’y voit que du feu. Ses expériences constantes dans la technique narrative se fondent admirablement bien dans des récits tirés de la vie des gens de condition modeste. On retrouve dans le premier récit de ce recueil « Mabuigumi : L’âme relogée » un agriculteur-pêcheur qui se trouve dans un coma profond après avoir laissé s’échapper son âme. Medoruma choisit intentionnellement d’avoir pour base à ce récit onirique et philosophique un foyer des plus humbles. La force de ses récits est d’élever, ou plutôt de mettre à sa juste valeur l’être humain d’où qu’il vienne et ici en l’occurrence les gens d’Okinawa.

Les récits de Medoruma donnent un nouveau souffle à la littérature japonaise qui se confine généralement à Tôkyô ou à d’autres grandes villes du pays. Chez lui, la situation géographique et historique d’Okinawa apporte une approche différente de la littérature japonaise. Son onirisme est plus dû au folklore local qu’à une envie (ou une obligation) de répondre à une demande de réaliser une œuvre typiquement japonaise. Les fantômes, les âmes, les spectres que l’on peut rencontrer dans les écrits de Medoruma proviennent directement du folklore d’Okinawa et non pas d’un style littéraire provenant d’une longue lignée d’écrivains japonais qui aurait perdu l’essence même de sa substance.

L’écriture, même si elle est le résultat d’un travail profond, cultivé et intelligent, reste une écriture agréable, fine et légère ; ce qui est un réel exploit. Le lecteur se laisse facilement entraîner dans les méandres de tous ces mots étranges, de tous ces personnages que l’auteur décrit à la perfection en quelques coups de plumes, et de tous ces endroits exotiques qui ont bercé l’enfance de l’auteur qui rend formidablement la vision qu’il en avait lorsqu’il était enfant.

À noter que pour ces premières traductions en langue française de l’œuvre de Medoruma, les Éditions Zulma n’ont pas fait les choses à moitié en s’offrant les services de Myriam Dartois-Ako, Véronique Perrin et Corinne Quentin pour la traduction. Merci à l’éditeur et aux traductrices.

 
L’âme de Kôtarô contemplait la mer