« Taro, un vrai roman » de MIZUMURA Minaé

MIZUMURA Minaé nous annonce la couleur : « Tarô, un vrai roman » n’est pas un roman, c’est une histoire vraie dans laquelle elle est impliquée. Dans la pure tradition du « roman-je » japonais (le Watakushi shōsetsu), elle nous raconte la vie d’Azuma Tarô qu’elle rencontra lors de son séjour aux Etats-Unis dans les années 60. A cette époque c’était une jeune adolescente qui, ayant dû suivre son père envoyé en mission par son entreprise, se retrouve dans un pays qu’ elle ne comprend pas et qu’elle ne désire pas vraiment connaître. C’est à ce moment là qu’elle entend parler d’un certain Azuma, jeune japonais fraîchement arrivé aux Etats-Unis, sans le sou, et récemment devenu chauffeur d’un grand ponte américain. Elle est tout de suite attirée par cet énigmatique japonais sans lui avoir même adressé la parole. Que peut bien faire un jeune Japonais fauché dans un pays tel que les Etats-Unis ?
Après l’avoir rencontré quelques fois furtivement et avoir entendu parler de son incompréhensible et fulgurante ascension sociale, elle apprend que Tarô a disparu totalement de la circulation. C’est à ce moment là que MIZUMURA Minaé décide de sortir du récit et de laisser la place à Fumiko, la femme qui s’occupa du jeune Tarô et de sa famille d’accueil au Japon.

On retourne alors au Japon pour lire le récit de cette Fumiko qui fut plus qu’une servante pour Tarô. On comprendra dès lors le pourquoi et le comment de cette étrange départ pour les Etats-Unis de la part d’un jeune Japonais qui, même s’il avait certains dons, n’était absolument pas destiné à la richesse. Son départ pour l’Amérique était en fin de compte plus une fuite psychologique qu’une réelle envie d’échapper à son Japon natal qui ne lui aura jamais fait de cadeaux.

Dans la première partie de son récit, MIZUMURA s’attellera à la tâche typique de beaucoup d’écrivains japonais qui est la description des états d’âmes et des difficultés qu’ont les Japonais lorsqu’ils doivent quitter leur pays. Tout d’abord l’incompréhension d’un style de vie autre que le leur et ensuite le terrible mal du pays. Beaucoup de Japonais passent leur temps dans d’innombrables vols entre le Japon et leur pays d’accueil. Un fois à l’étranger ils veulent absolument rentrer chez eux, mais lorsqu’ils sont de retour au Japon, ils ne supportent plus cette fameuse chape de béton qu’est la vie sociale japonaise. Un exemple frappant en littérature est celui de l’écrivain japonais MURAKAMI Haruki qui s’exila également aux Etats-Unis mais qui, lors de la crise financière qu’a subi son pays dans les années 90, décida de rejoindre ses compatriotes.

Dans la seconde partie de son récit dont la majeure partie se passe au Japon, MIZUMURA Minaé nous parle du changement qui est en train de s’opérer dans la société japonaise des années 60. L’aristocratie commence alors à s’effriter, ceux qui vécurent jusque là dans l’opulence se rende compte que leurs biens ne sont pas éternels et qu’ils vont devoir commencer à s’inquiéter de ce que l’avenir du Japon leur réserve.

Ce qui fait de ce roman un des plus réussis de la littérature japonaise, c’est la grandeur du personnage de Tarô. MIZUMURA Minaé commence par nous le décrire comme un jeune homme énigmatique qui semble cacher une blessure intérieure épouvantable. Il devrait se fondre dans la masse, mais pour une raison inconnue, lorsqu’il apparaît, tous les yeux sont rivés sur lui. L’auteure aurait pu s’arrêter là, mais elle décide, après l’avoir fait disparaître du récit de nous le présenter plus âgé et désabusé pour ensuite nous raconter sa vie d’enfant et d’adolescent. Durant tout le roman, Tarô nous apparaît comme un personnage de légende : trop grand pour être réel mais éprouvant de tels sentiments qu’il redescend régulièrement de son piédestal pour retrouver le monde des humains avec toutes ses faiblesses et ses déconvenues. Tarô est le prototype du héros, il est exceptionnel (il vit un amour passionné et sans limites, partant de rien il devient un homme riche et puissant, il est inaccessible, les gens tentent de l’approcher mais n’y arrivent jamais) et d’un autre côté il a ses faiblesses, il est fragile, il trébuche, ce qui le rend très attachant.

A ses côtés, il y a également une galerie de personnages. Ils sont tellement nombreux que l’on s’y perd de temps en temps, d’autant plus qu’on les retrouve à des époques différentes et ce malgré l’arbre généalogique que l’on retrouve en fin de volume. Parmi eux, on n’oubliera pas de si tôt les trois sœurs inséparables qui deviennent assez cocasses à la fin de leurs vies.

Superbe roman très abouti, très travaillé et qui restera certainement dans l’histoire de la littérature japonaise.

« Taro, un vrai roman » sur Amazon.fr