Peu avant sa mort prématurée, NAKAJIMA Atsushi décide d’écrire un roman relatant l’exil et la fin de vie du célèbre écrivain écossais Robert Louis Stevenson. L’auteur de « l’île au trésor » et de « L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde » quitte, pour des raisons de santé, sa natale Écosse pour Vailima aux Samoa, un état indépendant de Polynésie.
C’est sur cette île qu’il prendra le parti des Samoans contre l’intrusion insidieuse de la civilisation occidentale que lui-même ne peut plus supporter et qu’il connaît trop bien que pour la laisser transformer tous les habitants de l’île en ce qu’ils ne sont pas prêts à devenir. Pour ce faire, il se met aux côtés du roi Mataafa qui tente de garder l’unicité de son peuple face à son ennemi Laupepa qui, lui, essaie de diviser les Samoans afin de s’approprier le pouvoir, excité par les puissances colonialistes qui ne demandent pas mieux qu’une guerre fratricide éclate sur ce territoire convoité. Ce n’est qu’à ce moment-là que Stevenson reprendra contact avec l’Occident afin d’éviter le pire, mais personne ne répondra présent à ses demandes répétées et désespérées.
NAKAJIMA Atsushi écrira ce roman en alternant son propre récit subjectif aux lettres « fictives » rédigées par Stevenson. Dans « La mort de Tusitala », la dualité devient une forme de nouvelle fiction. Il est quasi impossible de savoir si le récit de NAKAJIMA est une biographie et si les lettres de Stevenson ont réellement été écrites par lui. NAKAJIMA devient littéralement l’écrivain écossais et Stevenson est obligé de rédiger ses lettres sous la diction de l’écrivain japonais. On remarque qu’il y a, dans la vie réelle des deux auteurs, énormément de points communs. Tout d’abord, ils sont tous les deux atteints d’une maladie chronique qui obligera Stevenson à quitter sa patrie et NAKAJIMA à lutter constamment contre son asthme qui le paralysera dans la plupart de ses projets, surtout durant la Seconde Guerre mondiale. Les deux écrivains sont également convaincus que leur vie sera brève et feront face à cette ombre divine chacun à leur propre manière. Ensuite, ils sont tous les deux fascinés par le voyage. Que ce soit le voyage physique ou intellectuel, ils ne peuvent rester en place et toutes les occasions leur sont bonnes afin d’échapper à la banalité et à la pudibonderie de leurs époques respectives.
On a l’impression que la seule chose qui sépare ces deux écrivains est le temps. Peut-être est-ce une manière pour NAKAJIMA d’exprimer l’idée que le temps (et la mort qu’il sous-entend) ne change rien à la nature humaine et à sa volonté de façonner le monde comme il le désire. Le coup de force de ce roman est sans aucun doute que l’auteur et le personnage principal ne font plus qu’un. Tout au long du récit, on sent l’écrivain se fondre complètement en son personnage pour finir par ne former qu’une seule entité qui se résumerait en fiction pure.
Au niveau de la forme, ce roman est une merveille stylistique. On ne peut s’empêcher de temps en temps de mettre le récit en suspens et de relire une phrase, un paragraphe afin de l’apprécier comme il le mérite. Les descriptions courtes et poétiques de l’île sont un réel régal pour les yeux et l’esprit ; les traits d’humour, surtout présents dans la correspondance de Stevenson, sont parfaitement dosés et reflètent très bien la personnalité de l’auteur écossais qui s’en servait dans la vie comme un rempart contre l’idée d’une mort proche et soudaine. L’œuvre atteint un degré de limpidité telle qu’elle nous fait penser qu’un travail très ardu a dû être mené par ce jeune écrivain mort trop tôt (33 ans) et qui aurait sans aucun doute marqué d’une empreinte solide et indélébile l’histoire de la littérature japonaise.
La Mort de Tusitala sur Amazon.fr