« Les pornographes » de NOSAKA Akiyuki

      Le récit se déroule à Osaka et raconte quelques années de la vie d’un pornographe.

      Avant d’ouvrir un roman portant un tel titre, il n’est pas exclu de s’attendre, comme le voudraient les idées reçues, à avoir affaire à des obsédés sexuels avides d’argent facile qui font davantage parler leur libido que leur raison. On constate bien vite que Nosaka nous a, heureusement, trompé sur ce point.

      Le pornographe dont il est question ici n’agit pas seulement pour l’appât du gain. L’homme a des théories sur son métier. Il l’a rationalisé. Avec ses assistants, il se lance souvent dans de nombreuses discussions et réflexions sur le bienfondé de leur activité. Il pense ce qu’ils font comme une mission d’utilité publique. Sa définition de ce qu’est une « bonne vie » est une vie où le plaisir sexuel est pleinement assouvi. Ce qu’il offre à ses clients c’est un sens à la leur, et la satisfaction de voir et de vivre leurs fantasmes.

      Il commence sa carrière en vendant des photos et en projetant des films, puis la poursuit en devenant réalisateur pour finir par organiser des orgies (auxquelles il ne participe pas). C’est donc parce qu’il se veut utile aux autres que ce pornographe est un personnage passionnant. L’argent est pourtant très présent dans les préoccupations des protagonistes, c’est l’après-guerre, tous les Japonais étaient certainement obsédés par sa quête, mais ce n’est pas le principal enjeu pour lui. Il ne fait pas dans la pornographie pour lui-même, pour son plaisir égoïste. Il vit avec deux femmes, une veuve et sa fille. La première est malade alors que la seconde est fraîche et belle. Il ressent du désir pour elle mais se sent coupable de cette attirance. Ce n’est pas un individu privé de vie sexuelle – ni de complexité.

      C’est aussi un personnage très stratégique, presque machiavélique, dans la façon dont il gère son affaire. Les passages où il décrit ses divers stratagèmes de proxénète pour trouver des filles à ses clients sont assez jubilatoires. Les tournages de ses films sont aussi de grandes scènes de comédie.

      La bienséance à propos du sexe est absente, le livre est si décomplexé envers le sujet que cela crée chez la personne qui le lit une sorte de « dé-culpabilisation tranquille ». C’est peut-être provocateur mais les actes qui sont tabous et condamnables chez nous sont ici décrits avec une telle évidence (l’offre de vierges aux hommes âgés) qu’ils ne provoquent même plus, aux yeux du lecteur, de scandale.

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« La tombe des lucioles » de NOSAKA Akiyuki

« La tombe des lucioles » est un roman quasi autobiographique d’un des plus grands écrivains japonais de l’après-guerre. Dans ce livre, NOSAKA nous fait vivre l’effroyable bombardement que connut Kobe en 1945 sous les traits de deux enfants : Seita ( un jeune garçon de 14 ans) et sa petite sœur Setsuko. Les deux enfants se retrouvent complètement perdus dans un Kobe dévasté par la guerre, et la mère n’étant plus qu’un amas de chair calcinée, Seita se voit dans l’obligation de subvenir aux besoins de sa petite sœur. Mais vivre dans un monde qui n ‘a plus de lois, un monde dans lequel seuls les plus résistants peuvent encore espérer s’en sortir n’est pas un monde pour les enfants ; les enfants ont besoin de rêves et de jeux, et c’est ce que tentera Seita : Faire vivre à sa petite sœur la vie qui aurait dû être celle d’une petite fille.

La plus grande originalité de NOSAKA Akiyuki est sans aucun doute son langage : le langage du peuple ; dans son œuvre, l’argot est roi. Et c’est ce qui rend ce roman un tant soit peu soutenable et humain. Quoi de plus subtile, pour nous faire prendre conscience que ces personnages ne sont pas de simples personnages de romans aux tirades parfaites et littéraires mais bien des êtres humains réels, que de nous les faire apparaître comme des gens de tous les jours, comme des êtres de la rue ?

On peut penser que NOSAKA a préféré la facilité en choisissant de nous présenter deux enfants errant dans un Kobe complètement dévasté par l’arrogance des adultes, mais il n’a pas eu le choix. Lui-même a connu, étant enfant, la dure réalité de la seconde guerre mondiale, son expérience fut très proche de celle de Seita et jamais il ne pourra l’oublier. Jamais il ne pourra pardonner ce qu’il a vu, que ce soit du côté ennemi ou japonais, le nationalisme japonais est devenu pour lui une aberration.

La grande force de ce livre est de faire se côtoyer dans un même récit l’horreur humaine et l’infinie tendresse que porte Seita pour sa sœur. Même dans les pires moments de son existence, l’être humain, qu’il soit adulte ou enfant, est capable de se sortir d’affaires d’une manière ou d’une autre. Que ce soit par la force, la débrouillardise, l’imaginaire ou l’espoir. A chaque fois qu’un espoir s’évanouit, une luciole s’allume.

Juste un petit avertissement pour ceux qui n’aiment pas trop l’originalité stylistique, outre le fait qu’il se passionne pour l’argot, NOSAKA est aussi reconnaissable par la longueur de ses phrases, ce qui peut être quelque peu déroutant au début mais, une fois le stade de surprise passé, on n’y prête plus trop attention.

NOSAKA reçut pour ce roman le prix Naoki, ce qui le projeta dans les hautes sphères du monde littéraire japonais alors qu’il avait déjà été repéré par MISHIMA Yukio quelques années auparavant pour son singulier roman « Les Pornographes », roman d’un tout autre genre.
« La tombe des lucioles » est devenu « Le tombeau des lucioles » pour le film d’animation réalisé en 1988 par TAKAHATA Isao.

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