« Hôzuki » de SHIMAZAKI Aki

Madame Tsuji tient une boutique de livres d’occasion à Nagoya (ville située dans la région du Chūbu, au centre de Honshū). Elle y élève son fils unique, Tarô, un petit garçon de presque sept ans, sourd et muet. Elle, son fils et sa grand-mère habitent ensemble à l’étage de la librairie. Rien ne semble pouvoir porter préjudice à cet équilibre familial bien établi jusqu’à l’arrivée d’une certaine madame Sato, un mardi neigeux, mélancolique et tranquille.

Madame Sato est tout simplement venue chercher quelques livres de philosophies pour son mari. Elle tend la liste des livres recherchés à la libraire, mais dès qu’elle aperçoit Tarô, elle est soudainement et incroyablement attirée par ce petit garçon sourd-muet, si calme et serein et avec qui sa petite fille Hanako s’entend si parfaitement. C’est à  ce moment-là qu’elle décide inconsciemment de le connaitre plus profondément, et elle n’hésitera pas à utiliser sa propre fille pour arriver à ses fins.

Ce court roman, comme nous a habitué l’écrivaine japono-québecoise, est une pure perle littéraire d’une densité et d’une tendresse éblouissantes. L’identité, thème cher à Shimazaki, y est une nouvelle fois superbement et d’une façon inattendue développée. La venue de cette Madame Sato, à première vue une cliente comme une autre, jette impitoyablement et irrémédiablement Mme Tsuji dans les gouffres de son passé inavouable. On peut dire que la grandeur du roman tient principalement dans le fait que ce passé qui resurgit si soudainement ne va pas qu’entacher la vie de Mme Tsuji, mais de tous ceux qui sont de près ou de loin, rentrés dans sa vie actuelle ou passée.

L’autre thème phare de Shimazaki, le « secret », irrémédiablement accolé à toute notion d’identité, est également bien présent dans « Hôzuki ». Que ce soit pour Mme Tsuji ou pour Mme Sato, le poids du secret sera tellement élevé qu’elles ne pourront plus indéfiniment le dissimuler en leurs propres âmes, et c’est avec ingéniosité que l’auteure nous démontrera que tout secret partagé ne peut rester totalement et indéfiniment voilé.

Au niveau du style, Shimazaki reste dans la simplicité des phrases courtes et joliment ciselées. On ne peut éviter de penser au style des haïkus en lisant ce dernier roman de l’auteure d’origine japonaise tant elle peut en quelques mots sublimer un moment, une situation, une ambiance. Voici les trois premières phrases du livre « Dans la vitrine, je dispose des livres d’occasion que je viens d’acheter. Il est environ quatre heures de l’après-midi. Une neige floconneuse commence à tomber. » Le décor est posé, il fait calme, le temps est cotonneux, les livres d’occasion nous plongent dans un passé qui n’attend qu’un petit événement pour resurgir. Cela semble si simple et si évident sous la plume d’Aki Shimazaki, et pourtant, rien n’est simple ni évident.

Un livre tendre qui aurait pu tomber dans la sensiblerie (pourquoi avoir choisi par exemple un enfant sourd et muet ?), mais ce serait sans compter sur la maîtrise d’une écrivaine singulière qui reste authentique, passionnante, éblouissante dans sa simplicité et attachée à son pays d’origine qu’elle continue à nous faire connaître par le biais de son style franco-japonais terriblement émouvant. Un livre à lire tranquillement et à relire afin d’y (re)découvrir quelques phrases magnifiques.

Hozuki

« Mitsuba » de SHIMAZAKI Aki

C’est un court roman écrit en langue française dont le style pourrait être qualifié d’élégant. Élégant car retenu par une douce clarté et une frêle pudeur. Élégant car aucun accroc ne survient pendant la lecture.

Le narrateur, Takashi Aoki, vient de rentrer de Singapour où il était en mission pour la société d’import-export Goshima dans laquelle il est salarié. Il a 30 ans, est célibataire et tout le monde le presse à trouver une femme, autant sa famille que ses collègues. Mais lui refuse toujours le Miai, le mariage arrangé. Il n’en a d’ailleurs pas besoin car il tombe amoureux de Yuko, la nouvelle réceptionniste qui vient d’être embauchée au siège de son entreprise. Ils se connaissaient déjà puisqu’ils ont tous deux suivi les mêmes cours de français à Kanda. Elle-même a pour lui des sentiments amoureux, ils sortent donc ensemble et finissent par vouloir se fiancer. Seulement quand le fils de la banque Sumida (la maison-mère de Goshima) demande la main de Yuko, les choses se compliquent.

C’est un roman très intéressant pour qui est curieux du Japon. J’y ai reconnu certains des stéréotypes que ce pays draine avec lui, stéréotypes qui se basent comme toujours sur la réalité (même si le Japon, comme tout pays, est infiniment plus complexe que les idées reçues qui s’y rattachent). On y retrouve cette idée que la société, à travers la famille et l’entreprise, est au-dessus des individus et de leur liberté. Le poids des secrets, des arrangements, de la hiérarchie, des normes à respecter est montré ici comme une lourde charge pesant sur la vie des personnages. Takashi aime son travail, il est dans la même entreprise que son père, il ressent même une certaine fierté à en faire partie (il exhibe son badge dans la rue), seulement il se doit d’obéir aux ordres et ne pas compter ses heures. Quand on l’avise de sa mutation pour Paris, il est heureux mais sait que son départ pourrait compromettre sa vie sentimentale. On fait d’ailleurs allusion à un moment à la période d’après-guerre quand les employés se sacrifiaient pour leur entreprise comme les Japonais le faisaient avant 1945 pour leur patrie. Du temps de l’impérialisme, les hommes se battaient pour l’empire et après la défaite c’est au sein de leur entreprise qu’ils ont continué à se battre, cette fois pour le renouveau économique du pays. Deux personnages illustrent très bien la manière dont les codes de la machine professionnelle peuvent briser des vies individuelles : le père de Takashi qui est mort jeune d’avoir tout donné à sa société et son collègue Nobu qui souhaite simplement profiter de sa vie de famille sans s’épuiser dans son travail. Au Japon, il semblerait que boire des verres entre collègues le soir soit presque une obligation puisque ce dernier est poussé à la démission après avoir trop de fois refusé ce genre de propositions.

On y retrouve également cette autre idée qu’il est impératif au Japon de se marier quand on a atteint un certain âge, pour une femme comme pour un homme ; Si ce n’est pas en voie de se faire, il faut donc arranger des rencontres qui conviennent aux deux familles.

Ces lois, décrites ici comme implacables, transforment le récit de cette rencontre sentimentale en une sorte de thriller amoureux. Elles donnent un tour psychodramatique au roman. Elles offrent au lecteur un réel suspense. L’envie que Takashi et Yuko parviennent à finir ensemble malgré toutes les barrières codifiées qui les empêchent d’envisager sereinement cet avenir commun est ce harpon narratif qui ferre jusqu’au bout notre attention.

Les rendez-vous au café Mitsuba entre les deux amoureux sont évidemment les passages les plus plaisants du roman. Leur caractère secret, détendu et libre rompt avec les stratégies et le machiavélisme qui foisonnent dans l’univers de la vie active. Le moment où le jeune homme monte dans un shinkansen (les trains à grande vitesse) afin de rattraper par surprise Yuko est sublime d’audace et de douce folie amoureuse. Leur week-end non prévu à Kobe est très agréable à lire car toute leur authenticité peut enfin s’exprimer. Ce n’est pourtant pas dans le fol amour car ils sont très vite dans le souci d’offrir un cadre à leur couple (pour un lecteur romantique et européen, ça peut être assez déroutant).
On retrouve enfin un aspect mystérieux, mystique dans ce roman assez réaliste. Un voyant fait une prédiction à Takashi qui aura bel et bien lieu. Cela confère une certaine poésie divinatoire à ce livre limpide, presque dépouillé.

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« Tsukushi » de SHIMAZAKI Aki

C’est lors de la préparation du treizième anniversaire de sa fille Mitsuba que Yûko, une jeune femme originaire de Kobe, se remémore le cours de sa vie et plus spécifiquement son mariage avec SUMIDA Takashi, le fils du président de la banque SUMIDA, une des banques des plus prestigieuses de Tokyo. Alors qu’elle comptait épouser T. Aoki, un shôsha-man typique (un shôsha-man est un employé de firme commerciale), qu’elle aimait ou, du moins, pensait aimer, un revirement de situation la décide au dernier moment à épouser le fils SUMIDA, un revirement dû essentiellement à la position sociale du fils SUMIDA et qui changera totalement le cours de sa vie.

C’est à l’époque de l’annonce de leurs fiançailles que Yûko découvre qu’elle est enceinte. Non pas de son futur mari, mais bien de T. Aoki. Pour elle, la question de l’avortement ne se pose même pas et annoncer franchement l’événement à son fiancé lui paraît la meilleure chose à faire afin d’éviter que sa future vie matrimoniale ne débute sur un énorme mensonge. La réaction de Takashi surprend la jeune mère ; pour lui, il n’est pas question d’annuler ce mariage, il n’en voit pas la raison et il promet de prendre soin de l’enfant comme s’il était vraiment de lui.

Les secrets, les mensonges et l’identité sont toujours au centre de l’œuvre de l’auteure canado-japonaise qui arrive à chaque fois à reformer, à recréer une interactivité entre ces trois sujets qui lui sont chers et qui finissent par former un édifice dense, original et important.

Et quel bonheur à chaque fois de retrouver tous ces mots et expressions japonais si doux à l’oreille regroupés dans un glossaire en fin de volume. SHIMAZAKI Aki est peut-être la seule (de par ses origines japonaises et sa langue d’écriture) à pouvoir rapprocher le français et le japonais d’une manière aussi naturelle et envoutante, de pouvoir rapprocher ces deux cultures à la fois si différentes et si admiratives l’une pour l’autre. Ces cultures qui se mélangent allégrement tout au long de « Tsukushi » : Montréal, Paris, Tokyo, Bruxelles, Kobe, Sapporo, Londres…

Un exemple de cette tendance amicale souvent rencontrée entre ces deux cultures : un lustre qu’une invitée à l’anniversaire de Mitsuba remarque et compare à celui qu’elle a déjà vu chez Mishima et qui fut en fait acheté par le beau-grand-père de Yûko à Londres au début des années 1950. Ce Mishima Yukio que l’on rencontre de temps en temps au cours de la lecture de « Tsukushi », errant comme un fantôme grandiose et inévitable entre ces deux civilisations qu’il connut si bien et qu’il adora sans aucune mesure.

« Tsukushi » est un court récit d’une simplicité grave et naturelle comme nous a habitué SHIMAZAKI Aki depuis de longues années. Une écriture très travaillée qui ne demande au lecteur que de se laisser bercer par une musique sombre, éthérée et faussement légère. L’œuvre de SHIMAZAKI est architecturale, l’auteure pose ses matériaux afin de créer un édifice d’une beauté délicate et d’une profondeur toutes deux prêtes à perdurer aussi longtemps que l’homme sera homme et qu’il n’osera jamais se mettre totalement à nu.

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« Tonbo » de SHIMAZAKI Aki

TSUNODA Nobu, marié et père d’une petite fille, décide de démissionner de la compagnie Goshima pour laquelle il travaille depuis des années afin d’ouvrir un gakushû-juku. Un juku  est un cours privé pour les élèves voulant étudier le soir en semaine et le week-end afin de réussir le concours d’entrée de l’école de leur choix. Après avoir voulu lui donner son propre nom, il décide, sur l’avis de sa petite fille, de le nommer Tonbo « libellule ». Il compte également dans le futur le transformer en centre culturel.

Un beau jour, Nobu reçoit l’appel d’un certain TANAKA Jirô, qui lui apprend non seulement qu’il a travaillé dans le magasin de musique que TSUNODA vient de transformer en juku, qu’il connaît également son meilleur ami d’enfance qui habite Kobe, mais qu’en plus il fut l’un des élèves de son père lorsqu’il était enseignant à Kobe. C’est d’ailleurs au sujet de son père et de son étrange suicide qu’il lui demande de bien vouloir le recevoir afin d’évoquer cette époque de sa vie.

Intrigué, TSUNODA accepte et attend impatiemment de rencontrer cet étrange TANAKA. Lors de leur première rencontre, TSUNODA comprendra que le suicide de son père n’est peut-être pas si étrange que cela et qu’un de ses élèves nommé YADA Kazuo est peut-être à la source de cet événement tragique survenu quinze années plus tôt.

Dans ce superbe roman, SHIMAZAKI Aki nous décrit avec sa tendresse habituelle ce Japon qu’elle a quitté sans jamais l’avoir réellement fui. Son cœur et son regard semblent toujours portés sur ses compatriotes qu’elle décrit avec une passion et une retenue typiquement japonaises. Elle nous fait faire un petit tour du Japon au travers de ses coutumes, de ses habitudes, de sa cuisine, de sa course à la réussite, de son enseignement parfois rendu difficile pour certains élèves victimes de brimades, mais également de ses lourds secrets et de son identité.

Les secrets et l’« innen »  (destin) sont à la base de ce roman qui ne fait étonnamment pas partie de sa pentalogie « Le poids des secrets » mais d’un autre cycle romanesque commencé par Mitsuba et Zakuro. « Tonbo » est un voyage psychologique et sociétal dans un Japon asphyxié par ses coutumes et sa loi du silence. La plume de SHIMAZAKI est légère et transparente comme cette libellule-tonbo sur laquelle le lecteur voyage et découvre ces nombreux secrets d’un regard lointain, tout comme celui que porte l’auteure francophile depuis le Canada sur son pays d’origine.

Un court roman tellement simple et limpide qu’on ne doute pas un seul instant que SHIMAZAKI y a travaillé très longuement et consciencieusement afin de poser les mots comme elle pose son regard depuis tant d’années sur ce Japon secret et ouvert aux plus grandes surprises.

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« Hotaru » de SHIMAZAKI Aki

Ce roman débute avec la jeune TAKAHASHI Tsubaki rendant visite à sa grand-mère qui, après avoir été victime d’un accident grave, s’est mise à avoir d’étranges hallucinations. S’étant retrouvée seule après la mort de son mari quelques années auparavant, la grand-mère a donc été recueillie par ses enfants qui, ne pouvant s’occuper d’elle chaque jour, demande à leur fille de venir de temps en temps lui tenir compagnie. L’entente entre les deux parentes est parfaite et ressemble plus à une relation de copinage.

Mais un beau jour, la grand-mère se met à lui raconter le terrible secret qu’elle n’a jamais dévoilé à quiconque de toute sa vie. Elle explique à sa petite fille l’étrange relation qu’elle entretint dans les années 30-40 avec son mari et son amour de toujours.

SHIMAZAKI, comme dans toute sa pentalogie, nous fait revivre tout le 20ème siècle japonais, avec bien évidemment en toile de fond la seconde guerre mondiale et tout ce qu’elle entraîna comme déchirures. Ici, même si elle nous parle des déportations de Japonais vers la Mandchourie, c’est plutôt les deux bombes nucléaires qui dévastèrent Nagasaki et Hiroshima qui serviront de toile de fond à ce cinquième volume du « Poids des secrets ».
Toujours le même procédé que dans les volumes antérieurs, pendant tout le récit, un mot, un seul, nous poursuit inexorablement. Le mot de ce dernier volume est bien entendu « Hotaru » qui signifie « lucioles ». Ces lucioles qui commenceront à apparaître aux yeux de la grand-mère pour ensuite se présenter subtilement à tous les personnages de l’histoire.

Les thématiques habituelles de SHIMAZAKI, à savoir l’identité humaine, la descendance et l’hérédité sont ici traitées par le biais des souvenirs de la grand-mère qui raconte l’histoire de sa vie à sa petite fille. Ce secret passera directement de la première génération à la troisième sans impliquer la deuxième. L’important est le lien qui existe entre générations même si ces liens ne sont pas tout à fait « suivis ».

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« Wasurenagusa » de SHIMAZAKI Aki

 Dans le quatrième volet du « Poids des secrets », SHIMAZAKI nous parle du thème de la descendance et du mariage au Japon.

TAKAHASHI Kenji est issu d’une famille noble japonaise et ses parents insistent fortement pour qu’il prenne pour épouse une femme noble et cultivée afin de perpétuer la noble lignée de la famille TAKAHASHI. Mais si le futur marié n’est pas vraiment d’accord d’épouser Satoko (celle que ses parents ont choisis pour être la mère de ses futurs enfants) il se résigne tout de même et s’attend à vivre de longs jours ennuyeux avec sa nouvelle épouse.

Mais malheureusement l’enfant n’arrive pas et, obligé d’avoir une descendance, Kenji se verra dans l’obligation de se séparer de sa nouvelle épouse et de se mettre à la recherche d’une autre plus fertile. Mais quelques temps après son divorce, Satoko, s’étant remariée avec un autre homme, tombe subitement enceinte.

C’est alors que Kenji fera la rencontre d’une jolie orpheline, Mariko et de son jeune fils Yukio. Les parents s’opposent bien entendu fortement à ce mariage, mais Kenji fera tout ce qui est en son pouvoir pour leur faire accepter cet amour véritable et sans limites.

Dans « Wasurenagusa » et comme dans la plupart de ses romans, SHIMAZAKI Aki nous entraîne dans une histoire romantique et poétique où les êtres souvent blessés par la vie tentent de se rencontrer malgré la pression sociale d’un pays qui tient plus que tout à ses valeurs ancestrales.

On y retrouve également la manie qu’a l’écrivain de distiller tout au long du récit un mot qu’elle a choisi, un mot qu’elle aime triturer, un mot qu’elle nous ressert gentiment, un mot que l’on fini par adorer, par s’accaparer même si c’est un mot étranger et qu’il est très difficile pour un francophone à prononcer. Ce mot est en fait ce fameux « Wasurenagusa » qui signifie myosotis (ne m’oubliez pas).

SHIMAZAKI aime également dans ses romans nous rappeler quelques éléments de l’histoire du Japon du 20ème siècle, qu’ils soient peu connus ou peu reluisants pour ses compatriotes. Ici, une petite allusion aux massacres qu’ont commis les Japonais envers leurs voisins Coréens lors du tremblement de terre le plus meurtrier du 20ème siècle ; là, une petite allusion à la guerre que les Japonais menèrent en Mandchourie lors du siècle passé.

Mais avant tout, « Wasurenagusa » reste un roman sur l’amour impossible entre deux êtres d’une classe différente qui préfèrent braver les convenances sociétales que de regretter à jamais un amour perdu.

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« Zakuro » de SHIMAZAKI Aki

Un épisode peu connu de l’histoire du Japon lors de la seconde guerre mondiale est la déportation des Japonais qui se trouvaient en Mandchourie vers les camps de travail de Sibérie pour le compte des soviétiques. Il y aurait eu 600 000 Japonais qui se seraient retrouvés dans ces camps et environ 60 000 y seraient mort. C’est de cette page sombre et taboue de l’histoire du Japon que SHIMAZAKI Aki s’inspire pour son dernier roman « Zakuro ».

Toda Tsuyoshi est un quadragénaire qui n’a plus eu de nouvelles de son père depuis 1942, époque à laquelle il aurait dû retrouver son père revenu d’URSS comme tant d’autres déportés japonais. Mais après avoir attendu et espéré pendant de longs mois, la famille se fait une raison et décide de vivre sans leur père qui a dû, comme tant d’autres, mourir de maladies ou de fatigue dans ces camps de travail. Mais dans cette famille, une personne est persuadée que le père est bel et bien vivant et qu’il finira bien par revenir un jour, mais cette personne est la « veuve » du père et, étant atteinte d’Alzheimer, plus personne ne prête vraiment attention à ce qu’elle dit ou pense.

Mais un beau jour, Tsuyoshi apprend de son meilleur ami, Koji, que son père est bien vivant, qu’il l’a vu aux Etats-Unis et qu’il vit actuellement à Yokohama, non loin de Tokyo. Tsuyoshi, après mûres réflexions, décide de contacter son père et de lui demander le pourquoi de sa fuite et s’il est bien conscient de la cruauté de son acte. Le père se sentira obligé de lui avouer son terrible secret que seules deux personnes connaissent.

SHIMAZAKI Aki qui habite actuellement au Canada reste très ancrée au Japon de par ses différents récits qui à chaque fois surprennent par leur simplicité et leur pureté mais également par l’incroyable maîtrise qu’a l’auteure de la langue française.
Et d’ailleurs, dans « Zakuro », elle joue admirablement avec les deux langues. il y a déjà ce petit glossaire à la fin du livre qu’il est très utile, voire obligatoire de consulter pendant la lecture mais il y a également ce mot « Zakuro » qui revient constamment dans le récit. Zakuro signifie le grenadier ou son fruit, la grenade. On le retrouve sous toutes ses formes dans le livre, que ce soit l’arbre ou le fruit, son sens symbolique ou sa couleur, mais également sa double signification en français : le fruit et l’arme de destruction.

Un roman très tendre qui tourne autour de la relation entre la mère et le fils. Le fils qui respectera jusqu’au bout sa mère et son espoir de revoir son mari, qui jamais ne la jugera même si elle est atteinte de sénilité et qui l’accompagnera jusqu’au bout de cet espoir. Aucun jugement non plus pour son père alors qu’il aurait pu lui en vouloir de les avoir laissés seuls et dans le besoin. Certaines décisions dans une vie sont difficiles à prendre et à comprendre mais il est inutile de juger avant d’essayer de comprendre.

Très beau roman sur les relations entre un fils et ses parents que l’histoire n’a pas épargnés mais qui restèrent dignes même quand l’espoir n’était plus partagé.

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« Tsubame » de SHIMAZAKI Aki

Le 1er septembre 1923, le Japon connut sa plus grande catastrophe sismique. La plaine du Kanto fut complètement dévastée par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,9 sur l’échelle de Richter et les rapports de l’époque ont fait état de plus de 140 000 morts et presque 600 000 habitations détruites.

Mais ce tremblement de terre ne fut pas pour le Japon qu’une catastrophe matérielle et humaine mais elle fut également morale et historique. En effet certains Japonais en ont profité pour « s’occuper » des Coréens résidant au Japon en les accusant de tous les maux dont ceux d’empoisonner les rivières et de mettre le feu un peu partout. Certaines milices japonaises, prises de folie furieuse, se sont mises à la recherche de tous les Coréens pour, soit les battre, soit tout bonnement et simplement les exécuter sans aucune forme de procès. Si un asiatique ne pouvait prononcer correctement le Japonais, il rejoignait d’autres personnes déjà interpellées pour être fusillé. Cette crise d’hystérie collective mena même certains Japonais à exécuter nombre de leurs compatriotes qui, venant d’autres régions, avaient un accent qui semblait ne pas leur plaire.

Il existe toujours dans la société japonaise contemporaine une sorte de ressentiment envers ces zaïnichi (résidents étrangers au Japon) et pour les gaijin en général (les étrangers), même si c’est moins aigu pour ces derniers. Sachant qu’il y a environ 900 000 personnes d’origine coréenne qui habitent au Japon, cette animosité pose quelques fois problème.

C’est ce 1er septembre 1923 que la petite Yonhi se voit confiée à un prêtre d’origine occidentale par sa mère coréenne qui, comprenant la situation dramatique dans laquelle les coréens se trouvent, ne voit aucune autre solution pour protéger sa progéniture. Une fois Yonhi en sécurité et s’appelant dorénavant Mariko ( prénom plus japonais), elle se met à la recherche de son frère qui n’a sans doute pas été victime du tremblement de terre mais peut-être de cette haine latente qui n’attendait que cette occasion pour surgir et détruire tout sur son passage.

50 ans après, on retrouve Mariko qui s’est mariée avec un Japonais, qui a eu des enfants avec lui et qui a continué à vivre au Japon ne pouvant pas retourner dans son pays natal qui ne lui offrait à l’époque que très peu de choses enviables. Mais sa vie est alourdie par ce terrible secret que peu de Coréens ose avouer : celui simplement d’être d’origine coréenne. Avec sa parfaite diction japonaise et beaucoup de renoncement, Mariko a réussi à se faire passer pour une Japonaise de pure souche. Mais ce secret est-il trop lourd à porter ?

Ce livre n’est aucunement une attaque personnelle de la part de SHIMAZAKI Aki envers son pays d’origine. On remarquera qu’elle parle de ce problème non pas en attaquant les Japonais personnellement mais plutôt en relatant une ambiance sociétale vague d’après un fait historique. Elle ne décrira jamais le fait bien précis du milicien exécutant des coréens, mais parlera plutôt d’une dérive malheureuse et cruelle, conséquence d’un choc traumatique d’une population complètement dépassée par les événements et remettant la faute à autrui et non au destin.

« Tsubame » aurait également pu sombrer dans le mélo, mais la pudeur de l’auteure japonaise nous offre une certaine distance qui nous empêche de critiquer trop rapidement cet état de fait et de plutôt essayer de comprendre avant de se jeter dans un impitoyable jugement.

« Tsubame » fait partie d’une pentalogie nommée « Le poids des secrets » et en est la troisième partie.

Autre particularité du texte : il a été entièrement écrit en français mais le style dépouillé de SHIMAZAKI et les nombreux mots japonais utilisés ici font de « Tsubame » une œuvre typiquement japonaise.

SHIMAZAKI Aki vit à Montréal depuis 1991.


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