« Le coupeur de roseaux » de TANIZAKI Junichirô

Un homme décide d’aller se balader autour du sanctuaire de Minase dans la région d’Okamoto, ballade plutôt originale pour le commun des mortels, mais pour lui, ce lieu a une certaine résonance littéraire. Ayant lu « Le Dit du Genji » et autres poésies, ce lieu a quelque chose de magique, il n’est plus un simple lieu où se trouve une ruine, il est plutôt l’endroit qui refera vivre les anciens personnages de ses nombreuses lectures.

L’endroit est apparemment désert, mais bientôt l’homme fera la rencontre d’un individu quelque peu aviné qui lui contera l’histoire de la jeune et très belle O-Yû que son père connut il y a de très nombreuses années. La vie que la jeune femme mena avec son père est une histoire si originale et romantique, que notre héros ne prononcera plus la moindre parole jusqu’à connaître la fin.

TANIZAKI Junichirô, dans ce court roman, nous balade sans arrêt du passé vers le présent. Et que ce soit vers une époque très ancienne ou vers un passé récent, il le fait avec une telle aisance qu’à aucun moment on ne se sent dérouté. Dans la première partie, il nous fait rencontrer une pléiade de personnages anciens assez inquiétants, alors que dans la seconde partie, les personnages sont tout à fait réels. O-Yû qu’il nous présente comme une héroïne tout droit sortie d’une tragédie grecque, est bien réelle, elle habite même tout près d’où les deux hommes se sont rencontrés, elle a certes pris quelques rides, mais conserve toute l’aura magnifique qu’elle eut à l’époque.

« Le coupeur de roseaux » fait étrangement penser aux récits fantastiques que Théophile Gautier écrivit vers le milieu du 19ème siècle. Gautier était alors capable de faire revivre des personnages disparus, comme par exemple les victimes de Pompéi, avec une finesse de langage inégalable et un mystère historique et littéraire unique. TANIZAKI Junichirô n’a pas à rougir, sa plume est aussi belle et délicate que celle d’un des plus grands écrivains français.

« Le coupeur de roseaux » est tout simplement un court récit poétique magnifiquement écrit qui vous entraîne dans une histoire d’amour tout aussi improbable que mystérieuse.

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« Svastika » de TANIZAKI Junichirô

KAKIUCHI Sonoko est une jeune femme mariée depuis peu et il semble bien que son couple ne tienne plus qu’à un fragile cheveu. Elle se sent tellement désespérée par sa vie actuelle remplie d’extravagances extra-conjugales qu’elle se rend chez TANIZAKI Junichirô pour lui faire part de ses craintes et de lui raconter la totalité de ses récentes déconvenues. L’auteur, très impressionné par son récit, y voit l’occasion d’en faire un livre et de nous livrer ce somptueux et subversif « Svastika ».

Le « svastika » est un symbole bouddhique représentant une croix qui signifie au Japon l’amour et la compassion. Et de l’amour, il y en a beaucoup dans cette histoire. Mais un amour particulier et assez tabou pour l’époque : l’amour absolu et sans limites entre deux femmes qui sont impitoyablement attirées l’une vers l’autre alors que deux hommes gravitent autour de ces deux beautés fragiles : le mari de Sonoko et le mystérieux Watanuki (qui essaie par tous les moyens de se garder la divinement belle Mitsuko).

Il faut savoir que ce roman est paru pour la première fois au Japon en 1928, et que son thème principal est l’homosexualité féminine. La relation charnelle entre les deux femmes n’est jamais explicite mais ce n’est pas pour échapper à la colère publique que TANIZAKI a décidé de rester si évasif, mais c’est plutôt par pudeur et par immense respect pour la nature humaine qu’il préfère dépeindre ses personnages d’une façon psychologique plutôt que naturaliste.

Du point de vue de la construction et de l’écriture de « Svastika » on voit poindre l’élégance stylistique de l’écrivain qui à cette époque débute une série impressionnante de récits. On sent réellement le feu sacré que TANIZAKI a reçu à ce moment de sa vie. Le récit est fluide et d’une rapidité innovante, à chaque page une nouvelle idée jaillit de l’esprit de l’auteur et tout en sachant que Mitsuko finira par mourir, on est plus qu’impatient de connaître la réelle raison de cette fin tragique. Et une preuve certaine que TANIZAKI est un des maîtres dans la description et la manipulation de l’âme humaine est qu’il est capable de faire gober tout ce qu’il veut, non seulement à tous ses personnages mais également, et c’est ce qui est le plus jouissif ici, à tous ses lecteurs.

La seule personne qui paraît garder les pieds sur terre dans cette histoire excessivement passionnelle est le mari de Sonoko, et c’est sans doute pour cette raison que TANIZAKI (même si l’ombre du mari est constamment présente dans le roman) le laisse de côté en ne le nommant presque jamais ou en lui donnant un surnom idiot « Mister husband » alors que l’on retrouve à chaque page le trio infernal nommé : Sonoko-Mitsuko-Watanuki. C’est sans doute sa manière de nous montrer que seul le passionnel vaut la peine d’être vécu et que le terre-à-terre est essentiellement décoratif et n’est utile que pour mettre en évidence le côté vagabond de l’amour.


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« Le meurtre d’O-Tsuya » de TANIZAKI Junichirô

O-Tsuya, jeune femme d’une beauté irrésistible est la fille d’un prêteur à gages (Seiji) dans un Japon médiéval aussi drolatique qu’irréel. Shinsuke, employé timide du patriarche ne sait plus quoi faire pour attirer l’attention de la belle et, on ne sait jamais, pour un jour se faire la malle avec sa muse. Un jour, une occasion se présentera à lui et, naïf et fougueux comme il est, il sautera à pieds joints dans une aventure qui tournera rapidement à la catastrophe.

Histoire d’amour violente et cocasse à la fois, « Le meurtre d’O-Tsuya » est une bouffée d’air frais dans la littérature japonaise du début du 20ème siècle. On retrouve dans cette nouvelle des personnages tous plus extravagants les uns que les autres : O-Tsuya, jeune geisha alcoolique se jouant admirablement de tous les mâles qui ont le malheur de s’approcher d’elle ; Shinsuke, jeune homme complètement dépassé par ses passions amoureuses l’emmenant à commettre catastrophes sur catastrophes ; et une pléiade de personnages loufoques qui ont tous en commun un égoïsme et une violence très terre à terre.

Peinture acerbe et sans concessions d’un Japon médiéval noyé dans ses propres règles et conventions. Parole donnée, parole due, codes d’honneur et autres hiérarchies, toute la panoplie d’un Japon bien ordonné balayé en un coup de plume bien acérée.


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