« Album de rêves » de TSUSHIMA Yûko

« Album de rêves » est un peu plus qu’un simple roman, il est plutôt le constat terrible d’une mère ayant perdu son enfant très jeune. Un constat terrible car, outre le fait d’avoir perdu son enfant, la mère est tout à fait incapable de faire un quelconque deuil face à ce tragique événement. « Album de rêves » commence comme un roman banal, la narratrice découvre dans le journal du matin qu’un de ses anciens camarades vient d’être retrouvé assassiné chez lui sans aucune raison apparente. Bon début pour un roman policier, mais on comprendra vite que c’est très loin d’être le cas.

La vie de la narratrice semble n’être plus qu’une suite de rêves plus réalistes les uns que les autres après la mort de cet enfant tant aimé. Pour elle, la vie rêvée et la vie réelle n’auront plus jamais aucune frontière commune. Le rêve et la folie de cette mère ne feront plus qu’une réalité opaque, et même lorsqu’elle sera confrontée à de réels événements, elle ne sera plus en mesure de réagir que par le biais de ces rêves éveillés qui dans un sens la sauveront de la folie pure et dure, mais malheureusement l’empêcheront de faire face à ce deuil atroce et de pouvoir l’accepter. Même lorsque sa mère mourra, elle ne pourra que s’étonner de la réaction des gens qui semblent accepter si placidement sa mort, alors qu’elle sait pertinemment qu’il n’en est rien et que sa mère est juste endormie et qu’il n’est pas question d’enterrer une personne vivante.

Sa vie ne sera plus qu’une suite d’événements simples auxquels elle ne sera plus capable de réagir, ses rêves l’empêchant de prendre une quelconque décision rationnelle. Sa vie se résumera à une attente absurde de son fils mort et à ces rencontres occasionnelles avec le cher disparu qui pour elles se confondent totalement avec la réalité.

TSUSHIMA Yûko, qui a perdu son père lorsqu’elle n’était âgée que d’un an, a une relation très particulière avec les hommes. Pour elle, ils n’existent pas vraiment. Elle remplace dans son roman son père par son fils mort beaucoup trop tôt. Elle sait que cette disparition (celle de son père qui s’est suicidé) l’empêchera à jamais de vivre sa vie comme tout le monde. Où qu ‘elle aille et quoiqu’elle fasse, il y aura toujours cette absence masculine. Une phrase superbe du roman résume à elle seule la relation qu’entretient depuis toujours TSUSHIMA avec les hommes « …Dans mon cas, c’est mon père que j’ai perdu, alors il se peut que je sois incapable de concevoir un homme comme une réalité… ». Voilà, tout est dit dans cette phrase ; les hommes ne font pas partie de l’œuvre de TSUSHIMA, ou plutôt, ils sont présents par leur continuelle absence.

On ressent dans ce livre et dans toute l’œuvre de TSUSHIMA, non pas une envie d’écrire, mais un besoin fondamental de s’exprimer. Et c’est ce qui fait toute la grandeur et l’originalité de cette écrivaine. Malgré ce besoin très fort d’exprimer ses sentiments très personnels, elle arrive à écrire des romans fluides, touchants et accessibles au plus grand nombre. Il faut dire qu’ayant perdu si tôt et dans de telles conditions un père écrivain (DAZAI Osamu (1909-1948)), il fallait s’attendre à ce qu’elle se mette à écrire pour pouvoir supporter pareille douleur ; encore fallait-il qu’elle ait hérité du talent de son père, et heureusement pour nous, c’est tout à fait le cas.

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« Ô vent, ô vent qui parcours le ciel » de TSUSHIMA Yûko

 Les relations entre les filles et leurs mères ont de tout temps été difficiles et vu le livre de TSUSHIMA, le Japon ne fait pas exception, ça pourrait même être pire.

Ritsuko Takasé, la narratrice, se retrouvant au chevet de sa mère mourante, se met à se remémorer sa jeunesse et à faire le bilan de sa relation assez tendue qu’elle entretint durant toute sa vie avec elle. Il y a d’abord ses années d’études qu’elle passa avec ses 5 amies qui ont toutes la particularité d’avoir été élevées par leur mère, le père ayant quitté le navire pour l’une ou l’autre raison. Cette amitié à cinq est assez superficielle et TSUSHIMA ne l’évoquera que de temps en temps juste pour nous montrer que Ritsuko, n’est pas complètement isolée du monde. Mais parmi ces cinq filles, il y a Fumiko, avec qui elle entretiendra des relations bien plus profondes. Fumiko vit avec sa mère, jeune femme divorcée assez exubérante et Yamagata, un homme plutôt stable et équilibré, mais qui ne veut aucunement remplacer le père absent et se contente juste d’observer de loin la vie de ces deux femmes.

Les deux jeunes filles se perdront de vue juste après leurs études, l’une rêvant de l’amour parfait et de voyages, l’autre se contentant d’une vie banale et bien rangée, d’un mariage et de maternité. Mais lorsque la mère de Fumiko apprendra qu ‘elle est atteinte d’un cancer et qu’il ne lui reste que très peu de temps à vivre, les deux femmes se retrouveront et pourront ensemble faire le bilan de leur jeunesse toujours aussi présente dans leur esprit.

L’écriture de TSUSHIMA est à mille lieues de ce qui caractérise la littérature japonaise actuelle. A savoir, qu’elle ne se contente pas de quelques lignes pour décrire une ambiance ou des émotions, mais préfère s’étendre sur le sujet, ce qui peut dérouter ou même ennuyer le lecteur qui trouve justement son compte dans cette économie littéraire typiquement japonaise qu’il a l’habitude de lire.

La lecture peut également rebuter le lecteur de par son sujet. L’histoire n’est pas vraiment palpitante ni intéressante en soi, mais elle permet de comprendre assez bien les relations que peuvent entretenir une mère et sa fille. Le lecteur masculin risque de ne trouver absolument rien d’intéressant pour lui, mais par contre, le lectorat féminin risque de prendre un réel plaisir à lire ce très beau roman et à s’en servir comme d’un miroir pour analyser sa propre relation mère-fille. TSUSHIMA prend son temps pour ciseler à la perfection tous les personnages féminins (soit par introspection, soit par description) mais les personnages masculins lui sont complètement étrangers et indifférents, ils ne l’intéressent absolument pas et elle ne les utilise que comme objets de décoration dans ce monde exclusivement féminin. Les hommes apparaissent de temps en temps, ne prononcent que quelques phrases, et la plupart du temps, ne sont là que pour donner un coup de main matériel, pour rendre un service rapide ou, dans le cas du père de Fumiko, pour essayer de se faire pardonner ses anciennes erreurs.
Ceci dit, ce roman n’est absolument pas féministe, il n’y a aucun rapport de force entre les deux sexes, les hommes sont tout simplement absents et exclus de ce monde féminin, de ces relations mères-filles, de cette sphère particulière qu’ils sont incapables de comprendre.

L’autre sujet abordé par TSUSHIMA, surtout dans la dernière partie du livre, est l’accompagnement des malades cancéreux en phase terminale. Mais, heureusement, l’auteure ne tombe pas dans le pathos, elle reste plutôt dans la tendresse et le pardon, dans l’abnégation des personnes qui accompagnent la mourante, dans l’acceptation fataliste de la destinée.

Il est également intéressant de voir dans cette histoire deux sociétés différentes (la française et la japonaise) se rencontrer, essayer de se comprendre, s’entraider dans le chagrin et la douleur. Intéressant aussi de voir comment les Japonais de pure souche et les Japonais vivant à l’étranger et ayant reçu une éducation très différente, voient leur pays natal et ses différentes traditions.

Un livre plutôt lent, pas très facile d’accès mais qui vaut vraiment la peine de par son approche pointue de ses différent sujets qui sont très loin d’être faciles à traiter.

Et pour la petite anecdote, TSUSHIMA Yûko n’est autre que la fille du très grand écrivain DAZAI Osamu qui, vu sa vie très marginale, n’a certainement pas pu consacrer beaucoup de temps à sa fille.
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